Résister en faveur d’un système international de protection : Seul rempart contre un ordre mondial en dérive

Contribution publiée sur le journal El Watan le 16 avril 2025

Le monde traverse une période de profondes turbulences marquée par une recrudescence des conflits armés et des violations massives des droits humains. Des événements tels que le génocide à Ghaza, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le conflit au Soudan et les sanctions imposées par Donald Trump contre la Cour pénale internationale témoignent d’un affaiblissement du droit international et d’une instrumentalisation croissante des droits humains à des fins politiques.

Ces crises ne sont pas des dysfonctionnements isolés, mais les symptômes d’une transformation historique : la remise en cause de l’ordre international fondé après 1948, qui a servi de socle à la protection des droits humains à l’échelle mondiale. Ce bouleversement, accéléré par des choix politiques récents, ne se limite pas à la montée en puissance de certains acteurs, mais trouve ses racines dans des tendances plus profondes de régression du multilatéralisme et des mécanismes internationaux.
Face à ces défis, il est impératif de rénover et de défendre les instruments de protection internationale. Malgré leurs limites et les menaces qui pèsent sur eux, ils demeurent essentiels pour préserver les droits des peuples et des citoyens à travers le monde.

Affaiblissement du droit international

Depuis plusieurs années, Amnesty International dresse un tableau sombre de la situation des droits humains dans le monde. L’organisation n’a cessé de dénoncer une répression alarmante des droits fondamentaux et de multiples violations des règles internationales, exacerbées par des inégalités mondiales croissantes, l’application de standards à géométrie variable selon les intérêts des Etats du Nord mais aussi du Sud et des rivalités stratégiques qui paralysent les mécanismes de protection internationale.

A Ghaza, le rapport d’Amnesty International «On a l’impression d’être des sous-humains – Le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza», publié le 4 décembre 2024, apporte des preuves accablantes des crimes de masse commis par Israël. Les enquêtes menées par les chercheurs d’Amnesty International, démontrent que les actes perpétrés contre la population palestinienne répondent aux critères juridiques du génocide définis par la Convention sur le génocide de 1948 : destruction systématique d’une population, ciblage délibéré des infrastructures vitales, déplacement forcé et conditions de vie infligées dans le but de provoquer la disparition d’un groupe national.

En Ukraine, l’invasion russe a été marquée par des crimes de guerre documentés, notamment des attaques délibérées contre des civils et des infrastructures essentielles, en violation du droit international humanitaire. Des bombardements indiscriminés, des exécutions sommaires et des actes de torture ont été recensés, constituant de graves infractions aux Conventions de Genève et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

Les conflits oubliés : Soudan, Yémen, RDC…

Alors que certaines crises attirent l’attention internationale, d’autres conflits meurtriers sont largement ignorés. Au Soudan, la guerre civile entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide a plongé le pays dans un chaos humanitaire, avec des massacres de civils, des violences sexuelles systématiques et un exode massif de populations. Au Yémen, après des années de guerre entre la coalition saoudienne et les Houthis, la situation humanitaire reste catastrophique, avec des millions de personnes menacées par la famine et l’effondrement des services de base. En République démocratique du Congo (RDC), les violences des groupes armés et l’impunité persistante des crimes de guerre continuent de faire des milliers de victimes, sans réaction significative de la communauté internationale.

La paralysie des mécanismes existants par les Etats

Le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies constitue un obstacle majeur à la protection des droits humains. Il permet à certains Etats d’empêcher toute action internationale contre des violations graves, comme l’ont illustré les blocages répétés des résolutions condamnant les crimes commis à Gaza, en Syrie ou en Ukraine. Cette impasse diplomatique alimente l’impunité et sape la crédibilité du droit international, laissant les victimes sans recours et les responsables sans sanctions.

La Cour pénale internationale, institution-clé dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux, enquête actuellement sur des crimes commis dans 17 pays, y compris des crimes de guerre en Ukraine et des crimes contre l’humanité en Palestine. Pourtant, elle est confrontée à des obstacles majeurs : le refus de nombreux Etats de coopérer et l’application sélective de la justice internationale. Israël, par exemple, rejette toute compétence de la CPI sur les crimes commis à Ghaza, et ses responsables, bien que sous le coup de mandats d’arrêt, échappent aux poursuites. De même, le cas d’Omar el-Béchir, l’ex-président soudanais, illustre cette impunité : malgré un mandat d’arrêt international, plusieurs Etats, dont l’Afrique du Sud, ont refusé de l’extrader, remettant en cause l’universalité de la justice pénale internationale.

Alors que l’aide humanitaire est à nouveau coupée sur la bande de Ghaza, que les familles ukrainiennes pleurent leurs morts, et que des villages entiers disparaissent sous les flammes des conflits armés au Soudan, au Yémen et en République démocratique du Congo, il serait tentant de céder au désespoir. Il serait facile de dire que l’ONU est impuissante, que la Cour pénale internationale ne condamne que les plus faibles, que le droit international n’est qu’une illusion fragile.
Mais renoncer à ces institutions, aussi imparfaites soient-elles, reviendrait à abandonner les victimes à leur sort et livrer le monde à la loi du plus fort.

Montée des autoritarismes et du racisme : une menace pour l’égalité et les libertés

Partout dans le monde, les droits humains sont attaqués. L’essor des régimes autoritaires s’accompagne d’une répression accrue des libertés fondamentales : musellement de la presse, criminalisation des opposants, détention arbitraire de militants. 
Les discours de haine se multiplient, alimentés par la désinformation et la stigmatisation de certaines populations, en particulier les minorités ethniques, les réfugiés et les défenseurs des droits humains. Des lois liberticides réduisent l’espace civique, comme en Hongrie ou en Inde, tandis que des reculs majeurs frappent les droits des femmes, notamment avec la remise en cause du droit à l’avortement aux Etats-Unis et les restrictions accrues imposées aux femmes en Afghanistan sous le régime taliban.

De nombreuses atteintes aux droits humains, y compris les inégalités structurelles et les discriminations systémiques trouvent leurs racines dans l’histoire du colonialisme et de l’esclavage. Ces injustices passées ont façonné des systèmes de domination qui perdurent aujourd’hui : occupation militaire, expansionnisme territorial, exploitation économique et marginalisation de certaines populations.

Face à cette régression mondiale, il est plus que jamais essentiel de défendre un système international de protection des droits humains. Un système rénové impartial, rempart contre l’arbitraire et la violence d’Etat. 
Pourquoi aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’une communauté internationale plus forte ?

Face à la multiplication des crises humanitaires, des conflits armés et de la montée des régimes autoritaires, le système international demeure un rempart essentiel contre l’arbitraire. Certes, ce système repose sur la volonté politique des Etats qui tentent de saper ses fondements en contournant les règles ou en pratiquant les deux poids, deux mesures pour défendre leurs intérêts et leurs alliés. De même, les Etats, au nom de la sécurité, cherchent à se soustraire à leurs obligations du respect des droits humains et faire taire toute dissidence. 

Malgré les critiques concernant leur inefficacité, ces mécanismes sont des acquis qu’il est impératif d’améliorer. Ils offrent un cadre juridique pour exiger des comptes des auteurs de crimes et pour garantir que les victimes obtiennent justice
Ne cédons pas au fatalisme, luttons pour préserver l’espoir d’un monde plus juste et égalitaire. 

Lutter contre l’impunitéreste un impératif collectif 

Chaque traité signé, chaque convention adoptée, chaque mandat d’arrêt lancé représente une avancée, aussi modeste soit-elle, vers un monde plus juste. La justice est parfois lente, mais elle existe. Les mécanismes internationaux sont parfois défaillants, mais ils peuvent être réformés.

Les conventions et traités internationaux, tels que les Conventions de Genève et le Statut de Rome, constituent les piliers du droit international humanitaire et pénal. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et la CPI restent des institutions essentielles pour enquêter sur les violations graves et poursuivre leurs auteurs.

L’impunité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité demeure l’un des plus grands défis de notre époque. Pour renforcer l’efficacité de la CPI, il est crucial de lui donner les moyens d’agir indépendamment des pressions politiques et de garantir l’exécution de ses mandats d’arrêt.

Le refus de certains États de coopérer avec la CPI illustre cette crise de légitimité. Le cas d’Israël, dont des responsables sont visés par des enquêtes pour crimes contre l’humanité en Palestine, ou encore le refus historique de plusieurs pays d’arrêter Omar el-Béchir, montrent à quel point l’institution doit être soutenue et renforcée.

Dans ce contexte, le rôle des Etats engagés en faveur de la justice internationale est fondamental. En janvier 2025, neuf pays du Sud, dont le Sénégal et l’Afrique du Sud, ont formé le Groupe de La Haye, une initiative visant à défendre les droits des Palestiniens et à mettre fin à l’impunité israélienne en se fondant sur le droit international.

L’universalité des droits humains : bouclier contre l’autoritarisme 

Le droit international des droits humains garantit nos libertés fondamentales et protège celles et ceux qui luttent contre les injustices. Loin d’être une simple déclaration de principes, il constitue un véritable bouclier contre l’arbitraire et les abus des Etats, en particulier lorsque ceux-ci dérivent vers l’autoritarisme. Pourtant, à travers le monde, même dans les dites grandes démocraties, nous assistons à une remise en cause inquiétante de ces acquis, sous l’effet de gouvernements qui cherchent à affaiblir les contre-pouvoirs, à restreindre l’espace civique et à criminaliser toute contestation.

L’autoritarisme ne se limite pas à une forme de gouvernance, il s’accompagne systématiquement d’une érosion des droits et libertés fondamentales. La répression des voix dissidentes, la censure, la restriction du droit de réunion et l’acharnement judiciaire contre les défenseurs des droits humains ne sont que quelques-uns des outils employés par les régimes autoritaires pour asseoir leur pouvoir. Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais elles prennent aujourd’hui des formes insidieuses.

En effet, l’un des traits marquants des régimes autoritaires modernes est leur tendance à instrumentaliser la loi pour légitimer la répression. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, de protection de l’ordre public ou encore de sauvegarde des «valeurs nationales», des Etats adoptent des législations liberticides qui restreignent la liberté d’expression, d’association et de manifestation. Ce phénomène s’accompagne d’une concentration du pouvoir exécutif, d’un affaiblissement de l’indépendance judiciaire et d’un contrôle accru des médias et des réseaux sociaux.

Face à cette montée des autoritarismes, le droit international des droits humains demeure fondamental, bien que constamment mis à l’épreuve. Les conventions et traités internationaux, les mécanismes de surveillance et de recours, ainsi que les instances judiciaires internationales offrent des outils précieux pour exiger des comptes aux gouvernements et protéger les droits des citoyennes et citoyens.

L’universalité des droits humains n’est pas une idée abstraite, elle est la garantie que personne, où qu’il soit, ne soit laissé sans protection face aux abus. C’est pourquoi il est crucial de renforcer la solidarité internationale, de soutenir les voix qui résistent et de continuer à exiger des comptes aux gouvernements qui tentent de réduire l’espace démocratique. Défendre le droit international des droits humains, c’est refuser que la répression et l’arbitraire deviennent la norme.

Résistance : un devoir historique et collectif

L’histoire nous enseigne que la mobilisation des peuples peut renverser les régimes oppressifs, que la pression internationale peut libérer des prisonniers d’opinion et que la solidarité transnationale peut briser les murs de l’injustice.
Ce système, même imparfait, est le fruit de luttes acharnées menées par des générations qui ont refusé de baisser les bras face à la répression et à l’injustice. L’abandonner serait une trahison de leur combat et une condamnation des générations futures à un monde sans recours. Le multilatéralisme n’est pas mort. Il survit dans chaque militant qui dénonce un crime, dans chaque avocat qui défend une victime, dans chaque citoyen qui refuse de se taire.

Nous avons la responsabilité de ne pas laisser les tyrans dicter la marche du monde. Défendre ce qui reste du système international, non pas parce qu’il est parfait, mais parce qu’il est perfectible, est un impératif moral et politique.
Alors, militons, plaidons. Éduquons. Luttons. Pour aller plus loin. Pour bâtir un monde où les droits humains ne sont pas négociables. Car tant que l’espoir demeure, la justice est possible. Et tant que nous refusons de nous taire, aucune tyrannie ne pourra jamais nous réduire au silence. H. O.