Les autorités algériennes doivent libérer immédiatement et sans condition au moins 266 militant·e·s et manifestant·e·s ayant pris part au mouvement de protestation du Hirak, critiqué les autorités, dénoncé la corruption d’État ou exprimé leur solidarité avec des personnes en détention, a déclaré Amnesty International jeudi 30 juin alors que l’Algérie s’apprête à commémorer le 60e anniversaire de son indépendance, le 5 juillet.
En mai 2022, des observateurs locaux ont signalé qu’au moins 266 militant·e·s et manifestant·e·s languissent dans les prisons algériennes pour avoir seulement exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion ; les autorités doivent abandonner sans délai toutes les charges retenues contre ces personnes.
L’incarcération injustifiée de militant·e·s et de manifestant·e·s doit cesser. Il est honteux que les autorités algériennes continuent à invoquer des lois trop répressives et rédigées en termes vagues afin de poursuivre des personnes au seul motif qu’elles ont exercé de manière pacifique leurs droits à la liberté d’expression et de réunion
Amna Guellali, Amnesty International.
De nombreux manifestant·e·s sont maintenus en détention provisoire pour des périodes excessivement longues. D’autres personnes ont été condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison sur la base de charges trop générales et forgées de toutes pièces, comme par exemple « atteinte » à la sécurité de l’État, « atteinte à l’unité nationale », « outrage » à un représentant de l’autorité publique, « incitation à attroupement non armé », propagation de fausses informations, et terrorisme.
« Soixante ans après que l’Algérie a acquis son indépendance, des libertés fondamentales et droits humains continuent à être négligés, bafoués ou activement restreints », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« L’incarcération injustifiée de militant·e·s et de manifestant·e·s doit cesser. Il est honteux que les autorités algériennes continuent à invoquer des lois trop répressives et rédigées en termes vagues afin de poursuivre des personnes au seul motif qu’elles ont exercé de manière pacifique leurs droits à la liberté d’expression et de réunion. »
Le 24 avril 2022, Hakim Debbazi, un détenu lié au Hirak, est mort en prison dans des circonstances peu claires. Hakim Debbazi était âgé de 55 ans et avait trois enfants. Il se trouvait en détention provisoire depuis février 2022, après avoir partagé une publication faite sur une autre page Facebook, qui appelait à une manifestation pour marquer le
troisième anniversaire du mouvement du Hirak. Il a été poursuivi pour « incitation à un attroupement non armé », « outrage à des officiers publics » et publication de contenus de nature à « nuire à l’intérêt national ». Le tribunal a rejeté une demande de mise en liberté provisoire déposée par ses avocats, mais n’a donné aucune explication pour ce refus.
Zakiya Sadeg, avocate et tante de Hakim Debbazi, a déclaré à Amnesty International qu’il avait dit à sa femme, lors d’une visite en avril, qu’il souffrait de douleurs à la poitrine et de problèmes respiratoires. Il a ajouté qu’il était détenu dans une pièce exiguë, remplie de fumée, où la ventilation était insuffisante. Près d’un mois après la mort de Hakim Debbazi, le ministre algérien de la Justice a affirmé, rapport d’autopsie à l’appui, qu’il était décédé de causes naturelles.
Parmi toutes les affaires recensées par Amnesty International, au moins quatre détenu·e·s ont été visés par des procès supplémentaires alors qu’ils se trouvaient déjà en prison pour des infractions en relation avec des critiques formulées en ligne ou hors ligne sur l’État. Le militant écologiste Mohad Gasmi a été arrêté le 8 juin 2020, puis condamné à cinq ans de prison pour une publication sur Facebook dont les autorités avaient considéré qu’elle faisait l’« apologie du terrorisme ». Alors qu’il était en prison, il a été poursuivi pour d’autres charges liées à sa participation à une action militante en faveur de l’environnement à l’étranger et à ses échanges en ligne avec des militant·e·s. Il a été condamné à une peine supplémentaire de trois ans de prison.
Le journaliste Merzoug Touati s’est également vu condamner à une peine d’emprisonnement supplémentaire alors qu’il purgeait déjà un an de prison pour « incitation à un attroupement non armé » et publication de contenus de nature à « nuire à l’unité nationale ». Le 29 mai 2022, il a été condamné à un an de plus en prison et à une amende d’un montant de 350 dollars des États-Unis, à l’issue d’un autre procès sur la base des mêmes charges. Merzoug Touati a finalement été remis en liberté le 20 juin, à la faveur d’une grâce présidentielle. Les charges retenues contre lui n’ont pas été abandonnées. Il a été condamné à une nouvelle peine d’un an de prison et à une amende d’un montant de 342 dollars des États-Unis le 28 juin 2022. Cette dernière condamnation en date est la quatrième à être prononcée contre lui en 2022.
Après que le mouvement du Hirak a été interrompu en raison de la pandémie de COVID-19 en 2020, les autorités algériennes ont intensifié leurs sanctions contre l’opposition pacifique. La répression accrue visant les personnes critiquant l’État ne s’est pas limitée aux Algérien·ne·s à l’intérieur du pays, mais a également pris pour cible plusieurs individus résidant ou cherchant refuge à l’étranger.
Cette année, un réfugié a été enlevé en Tunisie avant d’être renvoyé de force en Algérie et accusé d’au moins 10 infractions, dont « participation à une organisation terroriste », en raison de ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie.
Au moins deux demandeurs d’asile ont par ailleurs été expulsés en raison de leurs liens présumés avec des organisations non autorisées, tandis qu’au moins trois personnes ayant la double nationalité et résidant au Canada ont fait l’objet d’une arrestation arbitraire ou d’un interrogatoire à leur arrivée en Algérie, avant d’être empêchées de quitter le pays pendant des semaines, voire des mois.