Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre fin aux poursuites honteuses visant Rasha Azab, journaliste et écrivaine, jugée en raison de son soutien affirmé aux victimes de violences sexuelles, a déclaré Amnesty International le 12 mars 2022.
Rasha Azab doit répondre devant les tribunaux des accusations d’« insulte », de « diffamation » et d’avoir « perturbé délibérément [le plaignant] », en lien avec les tweets dans lesquels elle exprimait sa solidarité avec les victimes de violence sexuelle qui ont publié des témoignages anonymes accusant le réalisateur de films Islam Azazi d’agressions sexuelles et utilisait des jurons pour exprimer sa consternation face à l’impunité dont il jouit. Si elle est déclarée coupable, Rasha Azab encourt jusqu’à deux ans de prison et/ou une amende pouvant aller jusqu’à 50 000 livres égyptiennes (environ 2 900 euros).
« Rasha Azab est une militante politique et défenseure des droits des femmes bien connue en Égypte. La poursuivre parce qu’elle a exprimé sa solidarité avec des victimes de violences sexuelles revient à dire que les femmes doivent souffrir en silence et ne pas réclamer justice ni réparations en cas de viol et d’abus sexuels, a déclaré Philip Luther, directeur du programme de recherche et de plaidoyer pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre fin au harcèlement judiciaire visant Rasha Azab, et se concentrer sur la lutte contre l’épidémie de violence sexuelle généralisée en Égypte. Il incombe à l’État de prévenir les violences sexuelles et fondées sur le genre et d’enquêter sur de tels actes ; pourtant l’Égypte a choisi, de manière récurrente, de punir celles et ceux qui les dénoncent. »
En décembre 2020, le blog féministe Daftar Hekayat a publié six témoignages anonymes accusant le réalisateur Islam Azazi de violences sexuelles, dont une accusation de viol. Selon les militant·e·s des droits des femmes, les victimes ont choisi de poster leur témoignage sur ce blog de manière anonyme car elles n’ont pas confiance dans le système judiciaire.
Dans le droit fil de la culture de l’impunité bien ancrée en matière de violences sexuelles, les autorités ne font aucun effort pour travailler avec les organisations de défense des droits des femmes et les militantes en vue d’encourager les victimes qui ont partagé leurs témoignages à dénoncer ces faits aux instances de l’État, en garantissant leur anonymat et leur sécurité.
Entre décembre 2020 et novembre 2021, Rasha Azab a publié plusieurs messages sur son compte Twitter exprimant son soutien aux femmes à l’origine de ces allégations. Le 13 janvier 2022, Islam Azazi a porté plainte contre Rasha Azab et la réalisatrice de films Aida el Kashef, qui a également exprimé son soutien aux victimes sur son compte Facebook, les accusant de diffamation. Quelques jours plus tard, le parquet a décidé de transférer l’affaire intentée contre Rasha Azab devant les tribunaux.
Selon les recherches d’Amnesty International, les violences généralisées dont sont victimes les femmes et les filles en Égypte ne donnent pas lieu à des mesures adaptées pour les prévenir ni à des enquêtes satisfaisantes. Au contraire, les autorités menacent, détiennent arbitrairement et poursuivent les victimes, les témoins et les militant·e·s qui osent dénoncer ou font campagne contre ces violences.
En janvier 2022, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’Amal Fathy, une défenseure des droits des femmes qui a critiqué l’inaction des autorités égyptiennes s’agissant de protéger les femmes contre le harcèlement sexuel. Elle est condamnée à un an de prison.
En mai 2020, l’influenceuse sur les réseaux sociaux Menna Abdelaziz est apparue dans une vidéo avec le visage couvert de contusions, affirmant qu’elle avait été violée, frappée et filmée sans son consentement. Dans les jours qui ont suivi, les forces de sécurité l’ont arrêtée et elle a passé quatre mois en détention arbitraire dans l’attente d’investigations sur les accusations d’« incitation à la débauche » et de « violation des principes et des valeurs de la famille », les procureurs fondant leur dossier sur les déclarations de ceux que Menna Abdelaziz avait accusés d’être les auteurs de l’agression.
En 2020, les autorités ont arrêté arbitrairement et ouvert une enquête pénale contre quatre personnes venues témoigner dans une affaire de viol en réunion perpétré au Fairmont Nile City, un hôtel du Caire, en 2014. L’enquête portait sur des accusations liées aux « bonnes mœurs » et à l’« utilisation abusive des réseaux sociaux », entre autres. Au moins deux témoins ont déclaré avoir subi les pressions d’agents des forces de sécurité pour changer leur témoignage, alors qu’ils étaient détenus dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée.
« Il est absurde et honteux que les autorités égyptiennes continuent de poursuivre des victimes, des témoins et des militantes qui se mobilisent contre le fléau de la violence sexuelle en Égypte, au lieu de rendre justice aux victimes et de leur accorder des réparations adéquates. Il est temps que les autorités mettent un terme à ces représailles et en finissent avec les menaces de poursuites, notamment en dépénalisant l’” insulte ” et la ” diffamation ” : les auteurs sauront ainsi qu’ils ne peuvent plus intimider les femmes, les filles et leurs soutiens dans le but de les réduire au silence et cela permettra de briser le cycle de l’impunité pour les terribles violences sexuelles », a déclaré Philip Luther.
Complément d’information
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États sont autorisés à apporter des restrictions au droit à la liberté d’expression, notamment pour protéger les droits d’autrui. Toutefois, ces restrictions doivent être prévues par la loi de manière précise et être nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Égypte est partie. À cet égard, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a appelé les États à abroger les lois qui érigent la diffamation en infraction et soutient que l’emprisonnement n’est jamais une sanction appropriée. En conséquence, Amnesty International estime que les lois visant à protéger l’honneur et la réputation des tierces parties doivent être traitées exclusivement au civil et que les lois criminalisant la « diffamation » et l’« insulte » doivent être abrogées.