Les autorités israéliennes doivent renoncer immédiatement à l’expulsion forcée de plus de 1 000 habitant·e·s de Masafer Yatta, communauté palestinienne de Cisjordanie occupée, a déclaré Amnesty International mardi 19 juillet 2022, après des semaines de harcèlement incessant de la population locale, de démolitions d’habitations et de restrictions à la liberté de circulation par l’armée israélienne. En Israël même, les autorités doivent reconnaître le droit au logement des Bédouins palestiniens de nationalité israélienne du désert du Néguev/Naqab, qui ont vu leur village, Al Araqib, être une nouvelle fois détruit dans la matinée du 19 juillet.
Plus d’un millier de Palestiniens et Palestiniennes de Masafer Yatta, dont environ 500 enfants, attendent avec appréhension l’arrivée potentielle des bulldozers israéliens qui vont détruire leurs habitations, leurs panneaux solaires et les enclos de leur bétail
Heba Morayef, Amnesty International
Ces dernières semaines, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations unies (OCHA), les habitant·e·s de Masafer Yatta ont été la cible de vagues successives de démolitions. Une campagne d’intimidation a été menée par les autorités israéliennes dans l’objectif de créer des conditions de vie intenables afin de forcer la population à partir. Des barrages routiers et d’autres restrictions de déplacement ont aussi empêché les habitant·e·s de célébrer la fête musulmane de l’Aïd al Adha avec les membres de leur famille élargie vivant dans la ville voisine de Yatta. Le 11 mai et le 1er juin, l’armée israélienne a démoli les habitations de plusieurs dizaines de personne. Pour certaines, c’était la troisième fois en un an que leur maison était détruite.
Quelque 1 150 Palestiniens et Palestiniennes, dont 569 enfants, vivent actuellement à Masafer Yatta dans plus de 200 maisons, selon l’OCHA. Les conditions de vie y sont rudes, la population dépendant presque entièrement de l’aide humanitaire. Les autorités israéliennes ont ordonné la démolition ou interdit la construction de presque la totalité des habitations, des abris pour les animaux, des citernes et des infrastructures collectives de la région, au motif que leur construction s’est faite sans permis (sachant ceux-ci sont pratiquement impossibles à obtenir).
« Plus d’un millier de Palestiniens et Palestiniennes de Masafer Yatta, dont environ 500 enfants, attendent avec appréhension l’arrivée potentielle des bulldozers israéliens qui vont détruire leurs habitations, leurs panneaux solaires et les enclos de leur bétail. La poursuite de ces expulsions à grande échelle s’apparenterait à un transfert forcé, qui est un crime de guerre et un crime contre l’humanité », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
« Le déplacement imminent de Palestinien·ne·s de Masafer Yatta est un rappel brutal de la stratégie cruelle appliquée par Israël depuis des décennies pour maintenir la population palestinienne sous le joug de son terrible système d’apartheid. »
Amnesty International déplore par ailleurs les violations du droit au logement dont sont victimes les Bédouins en Israël, ainsi que la discrimination dont ils font l’objet dans l’application d’autres droits économiques, sociaux et culturels – une politique destinée à maintenir le système israélien d’oppression et de domination des Palestinien·ne·s. Les Bédouins palestiniens de nationalité israélienne sont la cible de démolitions répétées de leurs habitations, corollaires des politiques discriminatoires ne reconnaissant pas la légalité de quelque 35 villages de la région du Néguev/Naqab. Par exemple, depuis 2010, les autorités ont détruit à maintes reprises toutes les maisons du village d’Al Araqib, soumettant environ 250 personnes à des expulsions forcées qui les ont laissées sans abri, sans autre solution que de se réinstaller dans des cabanes dans d’autres villages ou de trouver refuge chez des proches dans les communes bédouines voisines. Les plans du gouvernement israélien destinés à « réglementer » les constructions bédouines dans le Néguev/Naqab ont entraîné l’expulsion forcée de centaines de membres de cette minorité, et des dizaines de milliers d’autres sont à leur tour menacés.
« Au lieu de démolir les habitations, les autorités israéliennes feraient mieux de supprimer leurs politiques discriminatoires d’aménagement du territoire et de construction qui placent les Bédouins dans la situation absurde d’être considérés comme des intrus sur leur propres terres », a déclaré Heba Morayef.
La population chassée de ses terres ancestrales à Masafer Yatta
Le 4 mai 2022, la Haute Cour de justice israélienne a rejeté les multiples requêtes déposées par des habitant·e·s de huit villages de Masafer Yatta qui réclamaient l’annulation des arrêtés d’expulsion. Par conséquent, la démolition des habitations et des bâtiments pour le bétail a commencé et la population est chassée de ses terres ancestrales afin de laisser la place à une zone d’entraînement militaire.
La poursuite de ces expulsions à grande échelle s’apparenterait à un transfert forcé, qui est un crime de guerre et un crime contre l’humanité
Heba Morayef, Amnesty International
En 1980, l’armée israélienne a décrété dans la région l’instauration de la « zone de tir 918 », une zone militaire de 3 000 hectares réservée aux entraînements. En novembre 1999, l’armée a expulsé tous les habitant·e·s de Masafer Yatta, mais une ordonnance provisoire de la Haute Cour de justice rendue en mars 2000 les a autorisés à y retourner dans l’attente de la décision finale, à condition qu’ils ne réparent pas leurs maisons. Depuis, ces habitant·e·s n’ont pas le droit ne serait-ce que d’installer des panneaux solaires ou des citernes d’eau.
Le 16 juin 2022, l’armée israélienne a commencé à s’entraîner dans cette zone, ne s’interrompant que pendant la visite de trois jours du président des États-Unis Joe Biden.
L’arrêt de la Haute Cour de justice s’appuie sur une conclusion erronée selon laquelle les ordonnances militaires israéliennes prévalent sur le droit international, ce qui montre la nécessité d’activer les mécanismes de la justice internationale.
« La décision de la Haute Cour de justice de confirmer les expulsions à Masafer Yatta souligne à quel point les tribunaux nationaux israéliens sont complices du maintien de l’apartheid et de la perpétuation des graves violations contre les Palestinien·ne·s vivant sous occupation. Elle montre combien il est urgent que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis dans les territoires palestiniens occupés. Chaque jour qui passe sans qu’Israël ait à rendre des comptes se traduit pour les Palestinien·ne·s par de nouvelles pertes d’habitations, de moyens de subsistance et d’espoir de vivre dans la dignité », a déclaré Heba Morayef.
Israël a systématiquement désigné de vastes étendues de terres palestiniennes comme terrains militaires, zones publiques, sites archéologiques ou parcs nationaux afin de contrôler au maximum ces terres en Israël comme dans les territoires palestiniens occupés. Ces classifications arbitraires sont des composantes essentielles du régime israélien institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques des Palestinien·ne·s. Par ailleurs, une enquête menée récemment sur des documents classés secret défense remontant jusqu’à 1979 a révélé que la création de « zones de tir » par Israël dans les territoires palestiniens occupés (zones qui couvrent environ 20 % de la Cisjordanie occupée) avait « pour seul objectif de remettre à terme ces terres à des colons israéliens ».
Complément d’information
Masafer Yatta se compose de 19 villages et hameaux traditionnels, dont huit sont sous la menace d’une destruction et d’un déplacement imminents. Ces villages sont situés dans les collines du sud d’Hébron, dans la zone C de la Cisjordanie occupée. La zone C couvre 60 % de la Cisjordanie, or les autorités israéliennes y conservent un contrôle exclusif sur l’aménagement du territoire et l’occupation des sols.
Sur l’ensemble du territoire d’Israël et des territoires palestiniens occupés, les politiques et les pratiques discriminatoires d’Israël, cautionnées par l’État, donnent lieu au déplacement forcé de populations palestiniennes depuis plusieurs décennies. Ces politiques ont été délibérément conçues pour limiter l’accès des Palestinien·ne·s à des terres stratégiques et leur contrôle sur ces terres, tout en cherchant à maintenir la domination juive israélienne.
Les habitant·e·s d’autres villages palestiniens des collines du sud d’Hébron et de la vallée du Jourdain – zone stratégique pour l’expansion des colonies israéliennes et l’annexion qui gagne sans cesse du terrain – sont eux aussi menacés de transfert forcé. En juillet 2021, par exemple, le hameau de bergers de Khirbet Humsa a été entièrement rayé de la carte par des bulldozers israéliens.
De l’autre côté de la Ligne verte, en Israël, 35 villages bédouins « non reconnus » de la région du Néguev/Naqab sont également menacés de démolition par les autorités israéliennes – un exemple flagrant de ségrégation raciale. Ces villages ne figurent pas sur les plans israéliens d’aménagement du territoire et d’occupation des sols et, par conséquent, sont considérés comme illégaux, les autorités israéliennes refusant de les raccorder aux services essentiels comme l’eau et l’électricité. Ras Jrabah est l’un de ces villages. Ses 500 habitant·e·s sont sous la menace d’un transfert forcé car les autorités palestiniennes prévoient de le détruire afin d’étendre la ville voisine de Dimona, majoritairement peuplée de juifs israéliens.