75e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme : Résister pour changer le monde

La méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité…» René Cassin.

Il y a 75 ans, le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme  proclame : «La dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.» 

L’organisation des Nations unies s’est engagée en faveur du développement du droit international des droits humains, reconnus comme universels, indissociables, interdépendants et intrinsèquement liés au développement et à la paix dans le monde.

 Malgré les progrès réalisés, aujourd’hui, des millions de personnes souffrent et sont victimes d’injustices, de répression politique, de crises sociales et économiques dans quasiment toutes les régions du monde. L’aggravation des inégalités conjuguée aux crises climatiques et énergiques continue de plus belle ; des millions de personnes deviennent encore plus pauvres et des millions de personnes sont déplacées en raison des changements climatiques ou des conflits. 

La communauté internationale et les Nations unies ont échoué à protéger les civils durant les crises et conflits, anciens ou nouveaux. L’une des missions essentielles de l’organisation d’assurer la paix et la sécurité des nations a été mise en échec par le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité. 

La politique du deux poids, deux mesures est devenue de plus en plus flagrante, avec, d’un côté, une réponse rapide et ferme en faveur des pays alliés, et de l’autre, un silence ou une tolérance lorsque les intérêts politiques et économiques des Etats sont en jeu. 

Le drame du peuple palestinien, depuis 1948, date de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme, jusqu’à aujourd’hui, est l’un des exemples les plus frappants du double standard. 

La communauté internationale s’est distinguée par son inaction et son incapacité à condamner le système d’apartheid, un système cruel de domination et un crime contre l’humanité à l’origine des violations des droits humains et des souffrances auxquelles sont confrontés des millions de Palestiniens et Palestiniennes au quotidien.

Les Palestiniens ainsi que les réfugiés palestiniens sont traités comme un groupe racial inférieur et sont délibérément privés de leurs droits. Plusieurs décennies de traitement délibérément inégal ont eu pour effet de marginaliser et d’appauvrir les Palestiniens qui vivent dans un état de peur et d’insécurité permanent. Ces derniers sont expulsés de force de leur domicile, séparés de leur famille et confinés derrière des postes de contrôle et des murs. 

Encore pire, le système de protection international est une fois de plus mis à rude épreuve, depuis le mois d’octobre, en raison des bombardements de la sixième opération militaire majeure, d’une grande violence, conjuguée au blocus terrestre, maritime et aérien contre la bande de Ghaza depuis 2007, sanctionnant ainsi l’ensemble de la population.

La remise en cause de l’universalité des droits fondamentaux, le non-respect du droit international humanitaire, l’inefficacité de la communauté internationale, l’absence de poursuites et l’impunité à l’encontre des auteurs de violations des droits humains témoignent de la crise majeure des droits humains. Cette dégradation pernicieuse compromet non seulement le présent mais aussi l’avenir de l’humanité tout entière.

Face à ces réalités injustes, la tentation est puissante de se laisser submerger par le découragement, de s’envelopper dans le silence, de laisser les larmes couler lorsque le verre semble plein jusqu’à déborder, de sombrer dans le désespoir, de céder à la peur ou à la colère, de se résigner face à notre impuissance… de renoncer ! 

Cependant, la force de la déclaration universelle des droits humains est d’offrir aux femmes, enfants et hommes du monde entier une arme puissante contre l’oppression, l’impunité et les atteintes à la dignité humaine. Le monde s’est profondément transformé avec l’émergence de mouvements politiques et sociaux qui ont bouleversé l’ordre mondial dominé par le Nord. 

La période post-Seconde Guerre mondiale a été marquée par un vent de libération et une amélioration des droits dans de nombreux pays à travers le monde. La déclaration a été un outil important pour promouvoir les droits fondamentaux, ce document universel a servi de référence pour de nombreux mouvements de libération et de la société civile. 

Ainsi, dans ces moments sombres de l’humanité, les peuples, les jeunes, les femmes et les hommes ont résisté avec détermination, fermeté et courage pour transformer le monde et rendre encore plus réelle la Déclaration. L’histoire de l’humanité est jalonnée de leurs victoires et conquêtes arrachées qui ont transformé l’histoire grâce au pouvoir perturbateur de la Déclaration, comme l’illustrent plein d’exemples de luttes de libération et de revendications d’égalité et des libertés fondamentales depuis 1948.

La résistance du peuple algérien, pour arracher son indépendance après 132 de colonisation ou du peuple sud-africain contre le système d’apartheid, avec la naissance de la nation arc-en-ciel. 

La reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains aux Etats-Unis suite à la célèbre marche pour les droits civiques en 1963, tout comme l’actuel mouvement des Black Lives Matters provoqué par la mort de George Floyd à Minneapolis, asphyxié par un policier blanc, devenu un mouvement de pression internationale contre les inégalités raciales et les violences policières.

Des grandes luttes des féministes pour conquérir l’égalité des droits au mouvement Me Too pour dénoncer les violences à l’encontre des femmes jusqu’aux manifestations des femmes, au péril de leurs vies, en Afghanistan et en Iran de 2023.  

Le mouvement Friday For Future lancé par Greta Thunberg, massivement suivi par des jeunes du monde entier dont les plus grands rassemblements se tiennent à l’occasion des Sommets sur le climat des Nations unies. 

Sans oublier les grandes vagues de mobilisations de solidarité en faveur du peuple palestinien aux quatre coins de la planète pour demander un cessez-le-feu immédiat pour arrêter les crimes de guerre contre l’humanité d’une très grande ampleur ciblant la population civile. Malgré la persistance des luttes, les réponses des gouvernements, dans leur large majorité, démontrent leur incapacité à entendre les revendications légitimes des personnes et le ras-le-bol des populations contre les systèmes injustes et inégalitaires. Le risque de radicalisation des mouvements sociaux est bien réel face aux politiques répressives et à la surdité des gouvernements. 

C’est pourquoi, nous ne devons pas abandonner les acquis de la Déclaration et de la Charte des Nations unies, car, paradoxalement, seuls ces instruments peuvent nous protéger de l’oppression et de l’injustice des puissants de ce monde. Les droits de chaque individu, sans distinction, sont la pierre angulaire d’une société juste et équilibrée où chacun pourra vivre en sécurité, jouir de sa liberté et réaliser son plein potentiel. En niant ces droits, nous ne faisons qu’exacerber les tensions, semer les graines de l’injustice et menacer la stabilité globale.

Nous devons exiger des dirigeants mondiaux un nouvel ordre international avec une refonte en profondeur des Nations unies pour éviter que les crises ne s’amplifient et que l’état du monde ne dégénère à ce moment où nous régressons fortement.  

Les organisations et les défenseurs des droits humains se réfèrent et se basent sur la Déclaration universelle des droits de l’homme pour donner vie à ces droits fondamentaux. Bien que la réalité montre que celle-ci n’est pas toujours respectée, il n’en demeure pas moins qu’elle représente un acquis fondamental pour les peuples et les individus. Au lieu de l’abandonner, nous devons collectivement la remettre au centre de nos luttes pour l’imposer et veiller à sa mise en pratique. 

Il est essentiel que nous nous levions d’une seule voix, solidaires, afin de défendre et d’imposer le respect des droits humains, sans aucune distinction ni compromis. L’exigence de préserver la dignité humaine est universelle et inconditionnelle. Il ne saurait y avoir de distinction entre victimes méritantes et non méritantes. 

Alors que nous célébrons le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est crucial de rappeler notre responsabilité commune de nous engager sans relâche en faveur d’un avenir meilleur, imprégné d’un profond respect des droits humains, et de garantir une véritable justice dans un monde de plus en plus interconnecté.

Par Hassina Oussedik , Directrice d’Amnesty International Algérie.

Tribune publiée le 10 décembre sur El Watan.