Protocole de Maputo / Entre avancées et défis majeurs : Le Protocole de Maputo, document historique et novateur de protection des femmes du continent

Par: Hassina Oussedik, Directrice d’Amnesty International Algérie. Cette contribution a été publiée le 11 octobre dans le journal El Watan.

Les chefs d’Etat et des gouvernements africains se sont réunis à Maputo, au Mozambique, le 11 juillet 2003, pour adopter le Protocole de la Charte africaine des droits de l’hommes et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, dit le Protocole de Maputo, l’un des cadres juridiques des plus complets et progressifs pour promouvoir et protéger les droits des femmes et des filles en Afrique. 

A ce jour, la plupart des Etats membres de l’Union africaine l’ont ratifié, ce qui porte le nombre total de ratifications à 44 sur 55. C’est un texte juridique contraignant pour les Etats africains, les obligeant à garantir l’égalité des sexes et d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il aborde des questions telles que les violences de genre, les droits sexuels et reproductifs, l’accès à la santé, l’éducation, l’emploi et la participation politique des femmes. 

Le Protocole de Maputo a considérablement fait avancer le combat des femmes en Afrique. En reconnaissant les droits sexuels et reproductifs des femmes, le protocole a joué un rôle crucial dans la lutte contre la mortalité maternelle, la planification familiale, l’accès à l’information et aux services de santé.
 

Il a également contribué à renforcer graduellement la protection juridique des femmes en reconnaissant explicitement les violences dans leur multitude : violences domestiques, sexuelles et mutilations génitales féminines, comme des violations des droits humains. Ce qui a conduit les Etats à élaborer et à appliquer des lois et des politiques visant à les combattre et à sensibiliser davantage les sociétés.(1)
 

Par exemple, la  Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a amenéw les responsables à rendre des comptes pour s’être abstenus d’ouvrir des enquêtes et des poursuites en relation avec les violences sexuelles et sexistes dont des femmes ont été victimes lors de manifestations violentes en Egypte. En mai 2018, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a estimé que le Mali avait bafoué plusieurs articles du Protocole sur l’âge minimum du mariage, l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le droit de consentir au mariage, le droit à l’héritage pour les femmes et pour les enfants nés hors mariage, et l’élimination des pratiques traditionnelles et culturelles néfastes. 
 

Défis actuels face aux violations persistantes des droits des femmes africaines

Même s’il convient de noter que la réalisation des droits des femmes est un processus complexe et multifactoriel, même si des instruments, tels que le protocole de Maputo, fournissent un cadre juridique solide de protection en faveur des femmes, leur mise en œuvre effective dépend de nombreux facteurs tels que la volonté politique, les ressources disponibles, les normes sociales et les attitudes traditionnelles. En effet, certains des principaux défis, auxquels sont confrontés les pays africains dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes, incluent le manque de ressources financières et humaines, les normes culturelles discriminatoires, la faible sensibilisation du public. Les Etats africains doivent adopter d’urgence des approches centrées aux besoins des victimes de violences sexuelles afin de briser le cycle du silence et des stigmatisations entourant ces violences et de favoriser la guérison, la justice et l’autonomisation à long terme des victimes.
 

Les gouvernements doivent prendre des mesures concrètes afin d’éradiquer les pratiques discriminatoires et investir dans des environnements propices au renforcement du pouvoir économique des femmes. Il faut notamment mettre en œuvre des politiques favorisant l’égalité salariale, garantir les droits fonciers et de propriété des femmes et encourager des environnements commerciaux inclusifs qui favorisent l’esprit d’entreprise formel et informel des femmes.
 

Où en sommes-nous des droits des femmes algériennes après le 7e anniversaire de la ratification de l’Algérie ?
Le 27 septembre 2023 a marqué le 7e anniversaire de ratification, l’Algérie avait ratifié le protocole de Maputo en 2016 avec une déclaration interprétative.(2) Clarifiant la manière dont l’Etat interprète certaines dispositions et obligations du protocole avec limitation et conditions sur la façon dont l’Algérie applique le Protocole, cette déclaration illustre les résistances pour une égalité inconditionnelle.  Certes, des progrès ont été réalisés en matière de défense et de promotion des droits des femmes en Algérie depuis. Par exemple, l’Etat a mis en place des institutions pour la protection des femmes et la promotion de leurs droits, telles la création du Conseil national de la condition de la femme et l’adoption en 2006 de la stratégie nationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes. Cependant, l’application effective de ces mesures reste un défi de taille. 
 

En mars 2023, le gouvernement algérien a adopté le rapport final du mécanisme du Conseil des droits de l’homme de l’ONU(3) en acceptant une large grille de recommandations. Il s’est engagé pour œuvrer efficacement contre les violences faites aux filles et aux femmes et pour atteindre des niveaux avancés dans la réalisation des droits des femmes en Algérie. 
 

Malgré les luttes continues et constantes des femmes algériennes pour revendiquer leurs droits, les inégalités de genre perdurent. Les femmes sont toujours victimes de violence et de discrimination. 
 

Ainsi, des lois discriminatoires du Code pénal et du Code de la famille continuent à établir une discrimination fondée sur le genre. Les articles 326 et 336 du Code pénal et les articles 11, 53, 54 et 66 du Code de la famille limitent la pleine jouissance des droits des femmes dans la vie professionnelle, sociale et familiale. La violence domestique, les agressions sexuelles et les féminicides sont malheureusement des réalités auxquelles les femmes algériennes sont confrontées. 
 

L’Etat algérien devrait accepter d’appliquer le Protocole dans son intégrité et retirer les réserves et limites de la déclaration interprétative. 
 

Il est impératif de garantir l’égalité des droits et l’autonomisation économique des femmes. Lorsqu’elles disposent de cette autonomie, les femmes sont plus à même de prendre des décisions qui leur sont favorables – en ce qui concerne leur liberté, leur dignité et leur sécurité. 
 

Il est essentiel que l’Etat prenne des mesures concrètes pour protéger les femmes et éliminer les stéréotypes de genre et les pratiques discriminatoires et de promouvoir une culture de tolérance, d’égalité et de respect des droits humains pour l’ensemble de la société tandis que la société algérienne doit s’évertuer à surmonter les préjugés sexistes et promouvoir l’égalité des sexes. 
 

Le long chemin vers l’application effective du protocole de Maputo  

Dans tous les pays africains, les femmes ont encore un long chemin à parcourir pour parvenir à une véritable égalité entre les sexes. Amnesty International considère l’adoption du protocole de Maputo comme une étape majeure dans la lutte contre les discriminations et les violences basées sur le genre en Afrique. L’organisation a activement plaidé pour l’adoption de ce protocole et joue un rôle-clé dans sa promotion et le suivi de sa mise en œuvre.
 

Amnesty international demande que les 11 Etats membres qui ne l’ont pas encore ratifié : Burundi, Botswana, Egypte, Erythrée, Madagascar, Maroc, Niger, République centrafricaine, Somalie, Soudan et Tchad s’engagent à le ratifier afin d’atteindre la ratification universelle du Protocole, les autres Etats doivent lever les réserves émises lors de leur ratification pour une mise en œuvre de l’ensemble des dispositions du protocole. 

Afin de garantir l’égalité, les Etats s’engagent résolument à instaurer des politiques, des lois et des mécanismes robustes pour préserver les droits des femmes, éradiquer les violences qui les touchent et garantir leur accès effectif à la justice, à l’éducation, à la santé, à l’autonomie économique et à la participation politique. 

Cet engagement requiert une volonté politique sans faille, la mobilisation de ressources adéquates, la mise en place de campagnes de sensibilisation ininterrompues, l’établissement de mécanisme de surveillance et de responsabilité solides, ainsi que la pleine participation des organisations de la société civile et des activistes en faveur des droits des femmes. 
 

Pour revendiquer avec force les droits des femmes, nous devons continuer à lutter sans relâche à nous unir pour faire entendre nos voix et à œuvrer ensemble pour construire un monde où chaque femme est respectée, protégée et émancipée. Les droits des femmes ne sont pas négociables, ils sont un impératif moral et une exigence fondamentale pour une société juste et égalitaire. 

(1) Protocole à la Charte relatif aux droits des femmes : https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/65556/63007/F2037633474/ORG-65556.pdf
(2)Décret présidentiel n° 16-254 a été publié le 27 septembre 2016 pour officialiser la ratification. :https://www.mjustice.dz/wp-content/uploads/2020/04/etats_conv_dr_hom_11_fr.pdf
(3) Examen périodique universel de l’Algérie 2022 : 
https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/upr/dz-index