La mort en détention cette semaine de Bashar Abdel-Saud, un réfugié syrien ayant été torturé, est déchirante et doit inciter de toute urgence les autorités libanaises à se saisir de la question de la torture dans les lieux de détention, a déclaré Amnesty International mardi 6 septembre.
Bashar Abdel-Saud a connu une mort cruelle alors qu’il était en détention sous la responsabilité de la Direction générale de la sécurité d’État du Liban – les images de son corps couvert d’hématomes et d’entailles sont un rappel choquant de la nécessité d’appliquer de toute urgence la loi de 2017 contre la torture.
Heba Morayef, Amnesty International.
Des responsables judiciaires libanais ont annoncé qu’une enquête serait menée par le parquet militaire. Amnesty International demande cependant que l’enquête et le procès soient confiés au système de justice civile.
« Bashar Abdel-Saud a connu une mort cruelle alors qu’il était en détention sous la responsabilité de la Direction générale de la sécurité d’État du Liban – les images de son corps couvert d’hématomes et d’entailles sont un rappel choquant de la nécessité d’appliquer de toute urgence la loi de 2017 contre la torture. Il est inacceptable que des actes de torture continuent à être commis dans les centres libanais de détention, et avec une telle brutalité – les autorités doivent y mettre fin sans plus attendre », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« S’il est positif que plusieurs membres des forces de sécurité aient été placés en détention afin d’être interrogés, le champ de compétence des tribunaux militaires doit se limiter aux infractions militaires perpétrées par les personnels militaires. Afin de garantir la transparence et l’impartialité de la procédure, le cas de Bashar Abdel-Saud doit être renvoyé en urgence devant un tribunal civil. Sa famille mérite d’obtenir justice et des réparations pour cette perte tragique. »
Des membres de la Direction générale de la sécurité d’État ont arrêté Bashar Abdel-Saud à son domicile le 31 août, sans présenter de mandat d’arrêt. Selon Mohammed Sablouh, l’avocat s’occupant de l’affaire, les proches de Bashar Abdel-Saud ont reçu l’appel d’un représentant de la Direction générale de la sécurité d’État quatre jours plus tard, le 3 septembre, leur demandant de venir récupérer sa dépouille au siège de la Direction à Tebneen, dans le sud du Liban. Mohammed Sablouh et la famille refusent d’aller chercher le corps avant de recevoir un rapport médicolégal indépendant et exhaustif de la part du médecin l’ayant examiné.
Face au tollé ayant fait suite à la divulgation de photos et de vidéos montrant les hématomes et les entailles couvrant le corps de Bashar Abdel-Saud, la Direction générale de la sécurité d’État a diffusé une déclaration affirmant qu’il avait été arrêté en possession d’un faux billet de 50 dollars et qu’il avait « avoué » être membre de l’État islamique avant de mourir. La Direction a aussi annoncé que l’affaire donnerait lieu à une enquête interne.
Le 2 septembre, le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire a examiné le corps et ordonné le placement en détention de cinq membres de la branche de la Direction générale de la sécurité d’État à Tebneen, notamment le lieutenant responsable et les officiers ayant perpétré les actes de torture.
Mohammed Sablouh a déclaré à Amnesty International que les autorités avaient déjà accusé Bashar Abdel-Saud de trois infractions : « Ils ont dit qu’il avait de la fausse monnaie, qu’il consommait et revendait du Captagon, et qu’il appartenait à l’État islamique. Ce sont des mensonges. Nous avons besoin d’une enquête transparente et d’un tribunal civil afin de pouvoir établir les faits, et d’obliger les responsables présumés à rendre des comptes. »
Bashar Abdel-Saud avait 30 ans et était père de trois enfants, dont un bébé d’un mois. Il avait fait défection de l’armée syrienne huit ans plus tôt et s’était rendu au Liban afin d’y travailler comme porteur. Il vivait avec sa famille au camp de Sabra et Chatila pour réfugié·e·s palestiniens, à Beyrouth.
Son expérience de la torture n’est pas un cas isolé. En mars 2021, Amnesty International a publié un rapport détaillant une série de violations contre 26 réfugié·e·s syriens, dont quatre enfants, détenus entre 2014 et le début 2021 sur la base d’accusations liées au terrorisme. Il s’agissait notamment de violations du droit à un procès équitable et d’actes de torture (coups assénés au moyen de barres de fer, de câbles électriques et de tuyaux en plastique, notamment). Les autorités n’ont pas mené d’enquête sur les allégations de torture, même lorsque les détenu·e·s ou leurs avocats ont déclaré devant un juge au tribunal qu’ils avaient été torturés.
Le cas de Bashar Abdel-Saud rappelle celui de Ziad Itani, un acteur libanais qui avait été arrêté par la Direction de la sécurité de l’État en décembre 2017 sur la base d’accusations mensongères d’espionnage pour le compte d’Israël, avant d’être jugé par un tribunal militaire. Ziad Itani a déclaré que des agents de la sécurité de l’État l’ont torturé, notamment en le frappant à coups de câbles électriques, en l’attachant avec des chaînes de métal, en lui donnant des coups de pied et de poing au visage, et en le menaçant de viol. Il a porté plainte contre eux en novembre 2018 mais aucune mesure n’a été prise afin d’enquêter sur sa torture.
« Lors du dernier examen en date du Liban par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en 2021, le gouvernement libanais s’est engagé à appliquer la loi contre la torture, à enquêter sur toutes les allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements, à amener les responsables présumés à rendre des comptes et à invalider les aveux arrachés sous la torture. Et pourtant, le règne de l’impunité perdure, et les dizaines de plaintes pour torture et autres mauvais traitements déposées au titre de la loi de 2017 contre la torture parviennent rarement jusqu’au tribunal, la plupart étant classées sans que de réelles investigations ne soient menées. Il est temps que cela cesse », a déclaré Heba Morayef.
Complément d’information
Le Liban a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture et son Protocole facultatif en 2000 et 2008 respectivement. Conformément à ses obligations découlant de cette Convention, le Liban a adopté une loi contre la torture en 2017 qui fait de la torture une infraction pénale.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les soldats doivent uniquement être jugés devant des tribunaux militaires pour des manquements à la discipline militaire. Au titre de la loi libanaise contre la torture, seuls les tribunaux civils de droit commun sont habilités à poursuivre, enquêter et juger. Par ailleurs, la prohibition de la torture s’applique quelle que soit la nature du crime présumé