L’exécution collective de 81 personnes, saoudiennes et étrangères, qui a eu lieu samedi est le signe d’une épouvantable accélération du recours à la peine capitale en Arabie saoudite, a déclaré Amnesty International le 15 mars. Ces dernières exécutions en date portent déjà à 92 le nombre total de mises à mort recensées dans le pays depuis le début de l’année.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé samedi l’exécution de 81 personnes qui avaient été condamnées pour des infractions très diverses allant d’infractions liées au « terrorisme » au meurtre, en passant par le vol à main armée et le trafic d’armes. Un certain nombre d’entre elles avaient aussi été déclarées coupables d’infractions du type « perturbation du tissu social et de la cohésion nationale » et « participation et incitation à participer à des sit-in et à des manifestations », qui font référence à des actes pourtant protégés au titre des droits à la liberté expression, de réunion pacifique et d’association.
« Ce nombre révoltant de mises à mort met également en évidence le manque de transparence de l’Arabie saoudite en ce qui concerne le recours à la peine de mort dans le pays, car nous savons que le nombre réel de condamnations à la peine capitale est toujours nettement plus élevé que celui qui est officiellement annoncé. De nombreuses personnes en Arabie saoudite risquent actuellement d’être exécutées à très brève échéance. »
Exécutés pour avoir participé à des manifestations
Selon les documents dont dispose Amnesty International, deux des 81 hommes exécutés samedi avaient été condamnés à mort pour des infractions liées à leur participation à de violentes manifestations contre le gouvernement. Le nombre total de personnes exécutées pour des accusations similaires est probablement plus élevé.
Le Tribunal pénal spécial (TPS) a condamné Mohammad al Shakhouri à la peine capitale le 21 février 2021 pour des infractions violentes qu’il aurait commises en lien avec sa participation à des manifestations contre le gouvernement. Il n’a pas eu accès aux services d’un·e avocat·e pendant sa détention et ses interrogatoires, et sa famille n’a pu lui rendre visite que huit mois après son arrestation.
Mohammad al Shakhouri a déclaré devant le tribunal qu’il souffrait de contusions et de fortes douleurs au dos, aux côtes et à la bouche dues aux actes de torture qui lui avaient été infligés. Il a perdu presque toutes ses dents à cause des coups au visage que lui ont portés des agents des services de sécurité, mais il a été privé de soins médicaux. Mohammad al Shakhouri a rétracté ses « aveux » parce qu’ils lui avaient été arrachés sous la torture. Le juge a prononcé de façon discrétionnaire une peine de mort.
As’ad Ali, qui a lui aussi été exécuté samedi, avait été condamné à mort par le TPS le 30 janvier 2021 pour des infractions du même type. Il a déclaré devant le tribunal avoir été torturé physiquement et émotionnellement pendant ses interrogatoires lors de sa détention à l’isolement, et que ses « aveux » lui avaient été extorqués au moyen de la torture. As’ad Ali a dit avoir été privé de soins médicaux alors qu’il souffrait d’intenses douleurs.
« Cette vague d’exécutions est d’autant plus terrifiante que le système judiciaire de l’Arabie saoudite est marqué par de graves irrégularités et que des peines de mort sont prononcées à l’issue de procès d’une flagrante iniquité, y compris sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements.
Lynn Maalouf, Amnesty International.
L’Arabie saoudite a procédé à deux autres exécutions collectives ces dernières années, d’une moindre ampleur cependant : en 2019, 37 personnes ont été exécutées et la plupart d’entre elles étaient des hommes chiites condamnés à l’issue de parodies de procès ; en 2016, 47 personnes ont été mises à mort, dont le dignitaire religieux chiite de premier plan Nimr al Nimr.
Amnesty International a rassemblé des informations sur les cas d’au moins 30 autres personnes qui risquent d’être exécutées du fait de leur condamnation à mort à l’issue de procès iniques et pour diverses infractions liées à leur opposition au gouvernement ou à leur participation à des manifestations contre les pouvoirs publics, ou encore pour trafic de drogue, pour de violentes attaques ou pour meurtre. Le nombre total de personnes condamnées à mort pour des infractions de ce type est probablement beaucoup plus élevé.
Dans tous les cas examinés par Amnesty International, les peines capitales ont été prononcées à l’issue de procès d’une flagrante iniquité, entachés pour beaucoup par des allégations de torture infligée pendant la détention ; ces allégations n’ont pas fait l’objet d’une enquête, en violation des obligations internationales de l’Arabie saoudite.
En mars 2022, Abdullah al Huwaiti, un jeune homme âgé de 14 ans au moment des faits qui lui étaient reprochés, a été condamné à mort à l’issue d’un nouveau procès ; il avait été condamné à mort une première fois, mais cette sentence capitale avait été annulée en novembre 2021. Il a de nouveau été condamné à mort pour meurtre et vol à main armée. Selon son dossier judiciaire, il a été maintenu en détention à l’isolement quatre mois, pendant toute la durée de son interrogatoire qui a eu lieu sans la présence de ses parents ou d’un· avocat·e.
Condamnés à mort pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression
Fin mars 2022, l’universitaire saoudien Hassan al Maliki comparaîtra devant le TPS, pour la reprise de son procès. Il risque d’être condamné à mort en raison d’accusations liées à l’exercice de la liberté d’expression. Figurent au nombre des 14 chefs d’accusation retenus contre lui : « outrage aux dirigeants et au Conseil des grands oulémas de ce pays » ; « interviews avec des journaux et des chaînes occidentaux hostiles [à l’égard du royaume] » ; « rédaction de livres et de documents de recherche […] publiés en dehors du royaume » et « possession de 348 livres non autorisés par l’autorité compétente ».
Dans une affaire similaire, le dignitaire religieux Salman Alodah risque lui aussi d’être condamné à mort par le TPS en raison d’accusations liées au soutien qu’il aurait apporté à des dissidents emprisonnés et aux Frères musulmans, un groupe politique interdit. Salman Alodah a été maintenu en détention à l’isolement pendant les cinq premiers mois de sa détention, en violation de normes internationales telles que les Règles Nelson Mandela ; il n’a pas été autorisé à contacter sa famille ou un·e avocat·e, mis à part lors d’un bref appel téléphonique un mois après son arrestation.
En août 2018, Salman Alodah a comparu devant le TPS lors d’une audience secrète, où il a été accusé de 37 chefs, y compris du chef d’appel à la liberté d’expression et à des réformes politiques en Arabie saoudite. En mai 2019, après une autre audience secrète, son avocat a fait savoir à sa famille que le procureur avait requis la peine de mort. Il attend actuellement le verdict du tribunal.
« Hassan al Maliki et Salman Alodah doivent être libérés immédiatement et sans condition. Nul ne devrait être condamné à mort simplement pour avoir exercé le droit à la liberté d’expression. L’instrumentalisation par l’État des exécutions à des fins politiques, pour étouffer la contestation, constitue un détournement endémique de la justice », a déclaré Lynn Maalouf.
Modifications récentes concernant la peine de mort
Un décret royal promulgué en 2020 a annoncé la fin du recours à la peine de mort contre les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qui leur sont reprochés, mais uniquement dans les affaires où les juges peuvent de façon discrétionnaire prononcer la peine capitale et en dehors du cadre de la législation antiterroriste. Ce décret ne précisait pas si cette annonce concernait les mineurs également en cas de hadd (infractions passibles de peines fixes et sévères au titre de la charia) ou d’infractions sanctionnées par la règle du qisas (réparation). Ce décret royal ne respectait pas les obligations incombant à l’Arabie saoudite au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Début 2021, les autorités saoudiennes ont annoncé des modifications concernant le recours à la peine capitale, notamment un moratoire sur les exécutions en cas d’infractions liées à la législation sur les stupéfiants, la peine de mort étant dans ces affaires prononcée de façon discrétionnaire et non imposée par la charia. Ce moratoire a apparemment été appliqué, mais il n’a pas encore été formalisé et il ne sera pas officialisé tant que la législation sur les stupéfiants prévoira la peine de mort et tant que les personnes qui ont par le passé été condamnées à mort pour des infractions liées aux stupéfiants resteront dans le quartier des condamnés à mort.
De plus, des tribunaux ont continué de prononcer des peines capitales et les autorités ont continué d’exécuter des condamnés pour d’autres infractions qui ne sont sanctionnées par la peine capitale qu’à la discrétion du juge. Ja’far Sultan et Sadiq Thamer, qui sont tous deux de nationalité bahreïnite, ont été condamnés à mort de façon discrétionnaire le 7 octobre 2021 pour des infractions liées au « terrorisme », notamment pour contrebande d’explosifs, entraînement militaire en Iran, et « participation à des manifestations à Bahreïn qui appelaient au renversement du gouvernement ». Leur condamnation a été confirmée en appel en janvier 2022, mais elle peut encore être annulée par la Cour suprême.
La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et une violation du droit à la vie. Amnesty International exhorte les autorités saoudiennes à mettre immédiatement fin aux exécutions, à mettre en place un moratoire officiel sur toutes les exécutions et à élaborer des lois instaurant l’abolition totale de la peine de mort pour tous les crimes.
L’Arabie saoudite doit également veiller à ce qu’aucun « aveu » et aucune déclaration extorquée au moyen de la torture ou d’autres mauvais traitements ne soient acceptés par les tribunaux, et à ce que toutes les plaintes dénonçant des abus fassent rapidement et efficacement l’objet d’enquêtes diligentées par des organes indépendants