Les nouvelles restrictions liées au COVID-19 en Tunisie, qui interdisent tous les rassemblements publics, imposent dans les faits une interdiction généralisée des manifestations, et entravent ainsi les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique de la population tunisienne, a déclaré Amnesty International vendredi 14 janvier 2022. Les restrictions sont entrées en vigueur le 13 janvier alors que des signes d’une intolérance croissante face à la dissidence s’accumulent, et à la veille des manifestations prévues contre le président Kaïs Saïed à l’occasion du 11e anniversaire de la destitution de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali.
« Chaque année en janvier, les Tunisiens et Tunisiennes commémorent la révolution tunisienne en descendant dans les rues pour exprimer leurs griefs. Il est capital que la crise sanitaire liée au COVID-19 ne soit pas utilisée comme prétexte pour réprimer les droits d’une manière générale, ni les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique en particulier », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Au titre des nouvelles restrictions, il existe un risque que la réponse des autorités aux manifestations ne se traduise par un recours inutile à la force ou par des arrestations arbitraires, qui ont malheureusement caractérisé le maintien de l’ordre par les forces de sécurité de nombreuses manifestations publiques ces dernières années. Nous appelons les autorités tunisiennes à modifier les nouvelles lois afin de les mettre en conformité avec les obligations internationales de la Tunisie. »
Le gouvernement tunisien affirme que les nouvelles restrictions, annoncées sur la page Facebook du chef du gouvernement, ont pour but de limiter la propagation du COVID-19. Elles resteront en vigueur durant deux semaines et peuvent être renouvelées sur recommandation du ministère de la Santé. Le nombre de cas quotidiens de COVID-19 et le taux de positivité aux tests ont tous deux augmenté fortement ces derniers jours, d’après le ministère de la Santé. Cependant, l’interdiction des rassemblements publics va trop loin. Certes, les États peuvent imposer des restrictions au droit de réunion pacifique dans le but de protéger la santé publique, mais celles-ci doivent être nécessaires, proportionnées, et ne doivent pas être imposées de manière généralisée. Au lieu de cela, les autorités doivent évaluer chaque rassemblement au cas par cas.
Les décisions prises par Kaïs Saïed depuis le 25 juillet 2021 visant à concentrer le pouvoir entre ses mains, notamment en suspendant le Parlement et la majorité de la Constitution tunisienne et en s’arrogeant les pleins pouvoirs exécutifs et le droit de légiférer par décret, ont polarisé la société tunisienne et provoqué un vif débat public sur l’avenir du pays.
Les soutiens et les opposants à Kaïs Saïed ont organisé des manifestations publiques depuis le 25 juillet, que les autorités ont laissées se dérouler sans restrictions ou presque. Cependant, les autorités judiciaires, y compris des tribunaux militaires, mènent de plus en plus d’enquêtes, et poursuivent en justice des personnes pour avoir critiqué publiquement le président.
En janvier 2021, les services de sécurité ont eu recours à une force illégale en réponse à des manifestations de grande ampleur contre des problèmes socio-économiques, notamment en frappant des manifestants et en tirant des grenades lacrymogènes de manière indiscriminée dans des zones résidentielles.
L’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Tunisie a ratifié, garantit le droit de réunion pacifique.
Les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois des Nations unies prévoient que les responsables de l’application des lois ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire, prévu par la loi, et lorsque l’usage de la force reste proportionné par rapport à l’objectif visé. Ces principes sont repris dans le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois des Nations unies.
« Au cours des cinq derniers mois, nous avons vu des signes inquiétants de l’intolérance croissante des autorités face à la dissidence. Le président Kaïs Saïed doit abroger toutes les restrictions qui risquent de violer implicitement les droits humains et s’engager publiquement à respecter le droit international et les normes connexes », a déclaré Amna Guellali.