Les autorités algériennes doivent immédiatement abandonner les poursuites lancées contre les défenseur·e·s des droits humains Kaddour Chouicha, Jamila Loukil et Said Boudour, ainsi que contre 12 autres personnes militant au sein du mouvement du Hirak, qui encourent tous la peine de mort ou de lourdes peines de prison sur la base de charges fabriquées de toutes pièces, telles que « participation à une organisation terroriste » et « complot contre l’État », en relation avec leur participation à des manifestations pacifiques, a déclaré Amnesty International avant leur procès, qui doit avoir lieu le 18 mai.
Kaddour Chouicha, professeur d’université, et les journalistes Jamila Loukil et Said Boudour, sont membres de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) et font partie du mouvement du Hirak, qui se mobilise depuis février 2019 en faveur de profonds changements politiques en Algérie, par le biais de manifestations largement pacifiques.
Les poursuites dont font l’objet ces courageux défenseur·e·s des droits humains nous inspirent de vives inquiétudes.
Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
Elles représentent une nouvelle tendance préoccupante, selon laquelle les autorités algériennes invoquent la législation antiterroriste afin de réprimer les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression avant les élections de juin. Les charges retenues ne sont qu’un écran de fumée visant à réduire au silence ces défenseur·e·s des droits humains et à étouffer leur action », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Nous exhortons les autorités algériennes à mettre un terme aux procès visant des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s du Hirak, et à garantir les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique en prévision des élections législatives de juin. »
Les charges retenues par le parquet s’appuient sur des allégations selon lesquelles ces personnes sont liées au mouvement politique Rachad, que les autorités accusent d’avoir infiltré le Hirak afin de fragiliser ce mouvement de contestation. Kaddour Chouicha, Jamila Loukil et Said Boudour nient toute affiliation avec Rachad. Mardi 18 mai, la chambre d’accusation du tribunal d’Oran déterminera s’ils resteront libres dans l’attente de leur procès ou s’ils seront maintenus en détention provisoire, dont la durée peut atteindre 16 mois.
Les autorités algériennes ont intensifié la répression visant les militant·e·s du Hirak ces derniers jours ; au moins 44 manifestant·e·s ont été arrêtés et poursuivis pour avoir pris part à des manifestations pacifiques le 14 mai. En tout, au moins 124 militant·e·s se trouvent actuellement en détention en Algérie en raison de leur participation à ces actions de protestation, selon le Comité national pour la libération des détenus, une association locale tenant un rôle d’observateur critique.
« J’avais du sang sur le visage »
Le journaliste Said Boudour a dit que cinq policiers l’ont soumis à une arrestation brutale alors qu’il couvrait une manifestation du Hirak à Oran le 23 avril. Il a déclaré à Amnesty International :
« Ils nous ont donné des coups de pied, nous ont frappés à coups de poing et de matraque, nous ont giflés et nous ont insultés. J’ai encore des traces de coups près de la bouche. J’avais du sang sur le visage. »
Accusé de terrorisme et de complot contre l’État, il a été maintenu en garde à vue jusqu’au 29 avril.
Le 28 avril, Kaddour Chouicha, professeur d’université et vice-président de la LADDH, et la journaliste Jamila Loukil ont été arrêtés sans mandat alors qu’ils sortaient du tribunal d’Oran à l’issue d’une audience liée à de précédentes poursuites pour « rassemblement non armé » en 2019. Le lendemain, des poursuites pour terrorisme et complot ont été ouvertes contre Kaddour Chouicha, Jamila Loukil, Said Boudour et 12 autres membres du Hirak.
Parmi les charges retenues contre ces 15 militant·e·s figurent les suivantes : recrutement de mercenaires au nom d’une puissance étrangère, incitation des citoyens contre l’autorité de l’État – infraction passible de la peine de mort -, complot contre la sécurité de l’État, enrôlement au sein d’une organisation terroriste ou subversive active à l’étranger ou en Algérie, et diffusion d’informations pouvant porter atteinte à l’intérêt national, au titre des articles 76, 77, 78, 87 bis et 96 du Code pénal, respectivement.
Kaddour Chouicha et Jamila Loukil ont été remis en liberté provisoire en attendant l’issue de l’audience du 18 mai. Said Boudour a été placé sous contrôle judiciaire, de même que deux autres militants du Hirak, et doit se présenter au poste de police tous les 15 jours.
Complément d’information
Ces poursuites fournissent l’exemple le plus récent de la répression des manifestations et des attaques ciblées visant journalistes et figures de premier plan au sein du Hirak, menées par les autorités algériennes, et surviennent alors que les élections législatives doivent se dérouler le 12 juin. C’est cependant la première fois que des accusations de terrorisme sont portées contre des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains liés au Hirak.
Depuis la naissance de ce mouvement, en 2019, Said Boudour a été arrêté à trois reprises et notamment poursuivi en justice pour « outrage envers des institutions publiques » et « diffamation », en vertu des articles 146 et 298 du Code pénal. Durant cette même période, Kaddour Chouicha a été arrêté au moins neuf fois et a été poursuivi dans le cadre de trois affaires, notamment sur la base d’accusations d’incitation à un rassemblement non armé. Jamila Loukil a été appréhendée quatre fois depuis le début du Hirak.