Dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, malgré certaines réformes timides, les femmes sont toujours en butte à une profonde discrimination et à des violences quotidiennes, dans un contexte d’échec des gouvernements à éradiquer les arrestations arbitraires, les enlèvements, les assassinats, les crimes « d’honneur » et toutes les formes de violence fondée sur le genre, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Depuis la survenue de la pandémie de COVID-19, certains pays ont signalé une hausse du nombre de cas de violences domestiques et d’appels aux services d’assistance téléphonique en raison de l’enfermement prolongé, à la maison, pendant les périodes de confinement et les couvre-feux.
En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la vie de nombreuses femmes et jeunes filles est gangrénée par la réalité quotidienne de la violence, à la maison ou dans la rue.
Heba Morayef, directrice des recherches sur l'Afrique du Nord à Amnesty International.
Les violences fondées sur le genre sont déjà un sujet d’inquiétude très prégnant en termes de droits humains dans la région, et la flambée des violences domestiques durant les confinements liés au COVID-19 a des conséquences catastrophiques, a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches sur l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Ces dernières années, si les défenseures des droits humains dans la région ont remporté des batailles importantes, qui ont permis de faire modestement avancer les droits des femmes, en particulier grâce à des réformes législatives abrogeant des lois discriminatoires, ces avancées sont assombries par les gouvernements qui commettent ou laissent faire des violences fondées sur le genre ayant un impact dévastateur sur la vie des femmes. »
La pandémie de COVID-19 durant l’année 2020 a aggravé les risques déjà importants auxquels se heurtent de nombreuses femmes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : les organisations de défense des droits des femmes, les services d’assistance téléphonique et les centres d’accueil pour victimes de violences domestiques dans plusieurs pays de la région, notamment l’Algérie, l’Irak, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, ont recensé une hausse du nombre d’appels à l’aide ou enregistré une augmentation du nombre de cas de violences fondées sur le genre.
En Algérie, le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme a recensé au moins 39 cas de meurtre ou « coups et blessures volontaires » ayant entraîné la mort pendant le confinement dû au COVID-19 ; des organisations de défense des droits des femmes ont souligné que le nombre réel de cas est sans doute plus élevé.
La violence fondée sur le genre demeure endémique
Ces dernières années, plusieurs pays de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient ont fait de timides progrès en matière de droits des femmes au niveau législatif et institutionnel. Citons la réforme attendue de longue date du système discriminatoire de tutelle masculine et la levée de l’interdiction faite aux femmes de prendre le volant en Arabie saoudite, la mise en place d’un mécanisme de plaintes pour les victimes de violences domestiques en Tunisie et la création d’un centre d’hébergement pour femmes risquant d’être victimes de « crimes d’honneur » en Jordanie.
À travers le Maghreb, des dispositions légales visant à combattre les violences faites aux femmes ont été adoptées – dont une loi essentielle en 2017 en Tunisie visant à protéger les femmes contre toutes les formes de violences fondées sur le genre.
Pourtant, ces avancées sont ternies par les violences et les discriminations que les femmes continuent de subir – notamment en termes de mariage, d’héritage et de garde des enfants – et minées par la faible application des réformes et le refus persistant de créer une agence pour les femmes.
Des crimes « d’honneur » sont encore relevés en Irak, en Iran, en Jordanie, au Koweït et dans les communautés palestiniennes en Israël et en Palestine, où l’inaction est de mise s’agissant de poursuivre les responsables ou de modifier les lois discriminatoires et les normes en matière de genre qui permettent à ce type de violence de perdurer. Dans plusieurs pays, les femmes qui défendent les droits fondamentaux sont en butte à des menaces, notamment de viol, à des actes d’intimidation, à des interdictions de voyager voire à des agressions violentes et à des homicides, imputables à des acteurs étatiques et non étatiques qui cherchent à les faire taire.
En Libye, les femmes et les filles sont victimes d’agressions physiques, d’enlèvements, d’assassinats et de violences sexuelles, ainsi que de campagnes de dénigrement et de violences en ligne imputables aux milices et aux groupes armés. Pas plus tard qu’en novembre 2020, l’avocate libyenne Hanane al Barassi a été abattue à Benghazi après avoir dénoncé la corruption de personnes affiliées à des groupes armés dans l’est du pays.
En Irak, des hommes armés ont abattu Reham Yacoub, militante connue pour avoir initié des manifestations locales à Bassora en août 2020.
En Égypte, une campagne numérique contre le harcèlement et les sévices sexuels lancée par de jeunes féministes a conduit à l’arrestation de plusieurs hommes accusés de viol en août 2020. Pourtant, bien que les autorités aient approuvé la disposition légale autorisant les procureurs à garantir l’anonymat aux victimes de violence sexuelle, les victimes et les témoins qui témoignent dans ce genre d’affaires ou dénoncent des violences sexuelles font toujours l’objet d’arrestations et de poursuites.
En 2020, en Égypte, au moins neuf influenceuses sur les réseaux sociaux ont été poursuivies en justice pour des accusations de « violation des principes de la famille », en raison de vidéos diffusées sur TikTok. Les médias progouvernementaux ont aussi lancé une campagne de dénigrement contre des victimes de violences sexuelles et les personnes qui les soutiennent.
En Iran, la « police des mœurs » continue de faire appliquer des lois discriminatoires et dégradantes relatives au port obligatoire du voile, soumettant les femmes et les filles à un harcèlement quotidien et à de violentes agressions.
Les droits des victimes sont bafoués
Les femmes qui se présentent pour signaler des violences se heurtent à de nombreux obstacles dans leur quête de justice. En Libye, elles risquent d’être arrêtées pour « adultère » et, dans le cas des réfugiées et des migrantes, elles n’osent pas se rendre à la police par peur d’être arrêtées et expulsées. En Jordanie, les femmes disent craindre d’être détenues dans des centres si elles dénoncent les violences qu’elles ont subies. Malgré les réformes, le système de tutelle masculine en vigueur en Arabie saoudite permet aux tuteurs masculins de perpétuer les violences faites aux femmes, qui ne sont pas protégées contre les violences sexuelles et physiques. Par exemple, celles qui se réfugient dans un foyer après avoir subi des violences domestiques doivent toujours obtenir l’autorisation d’un tuteur pour quitter les lieux.
Si de nombreux pays ont abrogé les articles de loi permettant aux violeurs d’échapper aux poursuites en épousant leur victime, cette loi perdure dans certains États de la région.
L’action des gouvernements est insuffisante pour protéger les femmes contre les violences fondées sur le genre et remédier à l’impunité, ce qui favorise cette forme de violence.
Première étape, les autorités doivent condamner publiquement toutes les formes de violences fondées sur le genre et démanteler les structures discriminatoires qui facilitent ce type d’abus, comme le système de tutelle masculine, a déclaré Heba Morayef.
« Ensuite, elles doivent garantir que les droits des victimes seront protégés, qu’elles pourront accéder à la justice en toute sécurité et que les responsables présumés seront tenus de rendre des comptes. Les victimes doivent pouvoir bénéficier d’hébergements adaptés, d’une aide psychosociale, ainsi que de services juridiques et autres. »