Les autorités marocaines doivent libérer immédiatement et sans condition le défenseur des droits humains Maati Monjib et abandonner toutes les accusations portées contre lui, y compris celles qui découlent d’un précédent procès en cours depuis 2015, en relation avec son travail sur la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International le 27 janvier 2021.
Après des années de surveillance numérique illégale et de harcèlement judiciaire, Maati Monjib a été arrêté le 29 décembre et sa prochaine audience devant un juge d’instruction est fixée au 27 janvier.
En novembre 2020 et janvier 2021, dans les lettres adressées à Amnesty International publiées ici dans le cadre d’un droit de réponse, le gouvernement marocain a nié que Maati Monjib ait été ciblé en raison de son travail en faveur des droits humains, mais a fourni involontairement des détails semblant pourtant le corroborer, en faisant référence aux fonds étrangers qu’il avait reçus pour organiser des ateliers destinés à promouvoir le droit à la liberté d’expression.
Amnesty International estime que les accusations portées contre lui sont liées à des activités protégées par le droit à la liberté d’association qui ne justifient ni poursuites ni placement en détention.
Maati Monjib est la dernière victime de la campagne du gouvernement visant à faire taire ses détracteurs et, en tant que prisonnier d’opinion, il doit être libéré immédiatement et sans condition.
Amna Guellali, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
Depuis qu’il a donné une interview à un média de premier plan dans laquelle il critiquait les services de renseignement marocains qui répriment les opposants politiques, Maati Monjib a subi le harcèlement de la police et subit aujourd’hui un procès pour l’exemple, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
« Il s’agit du dernier volet de la campagne menée par les autorités marocaines pour restreindre son droit à la liberté d’expression et le persécuter afin de le réduire au silence. Nous leur demandons de mettre un terme immédiat et définitif aux actes de harcèlement et d’intimidation visant ce courageux défenseur des droits humains en abandonnant toutes les charges retenues contre lui et en ouvrant une enquête solide, indépendante et transparente sur la surveillance numérique illégale dont il fait l’objet depuis des années. »
Souvent critique à l’égard des violations des droits humains imputables au gouvernement marocain, l’universitaire Maati Monjib avait déjà fait l’objet d’accusations forgées de toutes pièces et de poursuites il y a cinq ans, en 2015. Le 7 octobre 2020, le parquet du tribunal de première instance de Rabat, saisi par l’Unité de traitement du renseignement financier, a ouvert une nouvelle enquête sur Maati Monjib pour présomption de détournement de fonds et de blanchiment de capitaux. Avant son arrestation, la police judiciaire à Rabat et à Casablanca l’avait convoqué à de multiples reprises pour des investigations liées à ces accusations.
Les avocats de Maati Monjib n’ont pas eu accès aux preuves présentées contre lui dans le cadre de cette nouvelle affaire jusqu’au jour de l’audience, où ils ont pu lire certains éléments du dossier. À ce jour, on leur a refusé d’avoir une copie du dossier, ce qui constitue une violation des normes internationales relatives au procès équitable.
Dans les deux lettres adressées à Amnesty International, le gouvernement marocain a nié tout lien entre les nouvelles poursuites visant Maati Monjib et ses opinions critiques. Il a insisté sur le fait que le procès de 2015 et les poursuites intentées en octobre 2020 portaient sur des « infractions pénales » sans lien avec les activités de Maati Monjib en tant que défenseur des droits humains. Pourtant, dans l’une des lettres, les autorités marocaines ont fait le lien entre l’affaire de 2015 et celle de 2020, en mentionnant les transferts de fonds étrangers perçus par Maati Monjib en 2015 et 2016 pour financer son centre de recherches, le centre Ibn Rochd. La lettre poursuivait en listant les rapports des donateurs de Free Press Unlimited et de l’ambassade des Pays-Bas, indiquant qu’une nouvelle fois l’enquête se focalisait sur la perception de fonds étrangers destinés au travail légitime en faveur des droits humains.
En 2015, les autorités marocaines avaient porté des accusations infondées contre Maati Monjib et six autres accusés, en lien avec la perception de fonds étrangers provenant de l’ONG Free Press Unlimited (FPU) et destinés à financer des sessions de formation à StoryMaker, une application sécurisée qui permet aux journalistes citoyens de publier du contenu de manière anonyme s’ils le désirent. Dans cette affaire, Maati Monjib est jugé pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État », une infraction vague et générale, et « fraude » pour n’avoir pas déclaré des fonds reçus de l’étranger au titre de la loi marocaine sur les associations, ce qu’il nie et ce qui ne saurait en aucun cas justifier des poursuites pénales en vertu du droit marocain, mais pourrait seulement entraîner la suspension ou la dissolution de l’association. Le troisième chef d’accusation, « exercice d’une activité non précisée dans les statuts » de l’association, n’est pas reconnu comme une infraction par le droit international.
Aux termes du droit international relatif aux droits humains, la privation de liberté est arbitraire lorsqu’elle résulte de l’exercice des droits fondamentaux, notamment des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Selon le Comité des droits de l’homme de l’ONU, l’adjectif « arbitraire » doit recevoir une interprétation assez large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, le droit à la liberté d’association comprend la possibilité pour les ONG de collecter des fonds et de solliciter, recevoir et utiliser des ressources provenant de sources nationales, étrangères et internationales. Les restrictions concernant les financements étrangers qui entravent la capacité des associations à mener les activités prévues par leurs statuts vont indûment à l’encontre de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Maroc est partie.
Aucune ONG internationale ni aucun organisme donateur international ayant financé les activités légitimes de Maati Monjib ne s’est dit préoccupé quant à la mauvaise gestion de leurs ressources. Dans une déclaration publiée le 15 janvier, l’ONG basée aux Pays-Bas Free Press Unlimited a déclaré que Maati Monjib était un partenaire très respecté et qu’il ne devrait pas se trouver en prison.
Nous engageons les autorités marocaines à cesser d’utiliser la loi pénale ou les réglementations administratives sur la réception de fonds étrangers comme moyens de cibler les associations indépendantes qui défendent les droits humains ou les journalistes, et à faire en sorte que les organisations de la société civile puissent travailler dans un environnement sûr et favorable.
En octobre 2019, une enquête d’Amnesty International a révélé que Maati Monjib avait été soumis à une surveillance numérique illégale à l’aide d’un logiciel espion de l’entreprise NSO Group depuis au moins 2017. Ces attaques ont été menées au moyen de SMS contenant des liens malveillants qui, si la victime cliquait dessus, tentaient d’installer un logiciel espion sur son téléphone. En réaction, Maati Monjib et d’autres militants pris pour cibles ont déposé plainte auprès du Comité national pour la protection des données personnelles (CNDP), réclamant l’ouverture d’une enquête. Il n’a pas encore reçu de réponse. Avant son arrestation, Maati Monjib a déclaré qu’il avait fait l’objet d’une surveillance constante, des policiers surveillant son domicile et des policiers en civil le suivant dès qu’il sortait.
Cette arrestation intervient alors que le bilan en termes de droits humains du Maroc continue de se détériorer, le gouvernement ayant poursuivi en justice des dizaines de personnes au cours des deux dernières années, dont des journalistes, des YouTubeurs, des artistes et des militants qui ont exprimé leurs opinions en ligne ou hors ligne. Le 29 juillet, un autre journaliste de renom, Omar Radi, a été arrêté pour des accusations d’agression sexuelle, de viol, d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » et d’« atteinte à la sûreté intérieure », après avoir été la cible d’attaques informatiques. Il se trouve en détention depuis, dans l’attente de son procès.