[vc_row full_width=”stretch_row_content_no_spaces”][vc_column][vc_single_image image=”6773″ img_size=”full” label=””][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Le gouvernement américain doit mener des enquêtes impartiales et approfondies sur les éléments crédibles attestant que ses frappes aériennes en nette augmentation en Somalie ont tué de nombreux civils, écrit Amnesty international dans un nouveau rapport rendu public le 20 mars 2019.
Ce document, intitulé The Hidden US War in Somalia, révèle que 14 civils ont été tués et huit blessés dans seulement cinq frappes aériennes, sachant qu’on en dénombre plus de 100 au cours des deux dernières années. Ces cinq frappes ont été réalisées à l’aide de drones Reaper et d’aéronefs avec équipage dans la région du Bas-Shabelle largement contrôlée par Al Shabab, en périphérie de la capitale somalienne Mogadiscio. Il semble qu’elles aient bafoué le droit international humanitaire et certaines pourraient constituer des crimes de guerre.
Lorsqu’Amnesty International lui a présenté ses conclusions, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) a une nouvelle fois nié que ses opérations en Somalie aient pu causer la mort de civils.
« Le bilan des victimes civiles constaté lors de quelques frappes seulement laisse à penser que le secret qui entoure le rôle des États-Unis dans la guerre en Somalie est en fait un écran de fumée censé leur garantir l’impunité, a déclaré Brian Castner, conseiller principal sur les situations de crise, programme Armes et opérations militaires d’Amnesty International.
« Nos conclusions contredisent directement la version de l’armée américaine qui se targue de zéro victime civile en Somalie. Cette assertion semble d’autant plus saugrenue que les États-Unis ont triplé leurs frappes aériennes dans le pays depuis 2016, dépassant le nombre de frappes en Libye et au Yémen réunis. »
Au cours de leur enquête, les chercheurs d’Amnesty International se sont rendus en Somalie, ont conduit plus de 150 entretiens avec des témoins, des proches de victimes, des personnes déplacées par les combats et des experts, y compris au sein de l’armée américaine, et ont analysé avec une grande rigueur les preuves, notamment des images satellite, des fragments de munitions et des photos prises juste après les frappes aériennes.
Les frappes se multiplient depuis le décret publié par Donald Trump
Le nombre de frappes aériennes américaines en Somalie a connu une brusque augmentation après le 30 mars 2017, lorsque le président Donald Trump a signé un décret déclarant le sud de la Somalie « zone d’hostilités actives ».
Les forces américaines ont procédé à 34 frappes en Somalie au cours des neuf derniers mois de 2017, soit plus qu’au cours des cinq années précédentes de 2012 à 2016. Ce nombre a encore augmenté en 2018, pour atteindre 47 frappes. On en recense déjà 24 au cours des deux premiers mois de 2019.
Selon un général de brigade américain à la retraite avec lequel Amnesty International s’est entretenue, la charge pour l’armée américaine s’agissant de garantir que ses frappes aériennes ne feraient pas de victimes civiles s’en est trouvée diminuée. En outre, il estime que le décret a élargi l’éventail des cibles potentielles pour englober quasiment tout homme adulte vivant dans des villages favorables à Al Shabab et aperçu à proximité de combattants avérés. Un mandat aussi large bafouerait le droit international humanitaire et donnerait lieu à des homicides illégaux de civils.
Lors d’une frappe contre le hameau de Farah Waeys, l’AFRICOM affirme que « toutes les personnes blessées ou tuées étaient des membres ou des sympathisants d’Al Shabab ». Pourtant, Amnesty International a recensé deux civils parmi les hommes tués, et cinq femmes et enfants blessés, en plus des pertes d’Al Shabab.
Des preuves accablantes attestent de victimes civiles
D’après les recherches d’Amnesty International, des preuves accablantes indiquent que 14 civils ont été tués et huit blessés lors de cinq frappes aériennes américaines susceptibles d’avoir bafoué le droit international humanitaire et de constituer, dans certains cas, des crimes de guerre. Les informations faisant état d’autres victimes civiles lors d’autres frappes n’ont pas pu être suffisamment corroborées pour figurer dans le rapport.
Dans l’un des cas, une frappe aérienne de l’armée américaine dans des champs près du village de Darusalaam a tué trois paysans aux premières heures du 12 novembre 2017. Ils dormaient dehors, après avoir passé une bonne partie de la nuit à creuser des canaux d’irrigation.
Vers trois heures du matin, une frappe les a ciblés sans avertissement. L’explosion a conduit d’autres paysans à se précipiter pour se mettre à l’abri et a réveillé les habitants de deux villages voisins. Les villageois qui sont allés dès l’aube récupérer les corps ont décrit des blessures terribles.
Amnesty International a par la suite analysé des photos des corps qui corroborent ces témoignages. Deux des hommes étaient gravement défigurés. Un large fragment de bombe a transpercé le front du premier, faisant éclater son crâne ; ses avant-bras avaient été projetés vers l’arrière et quasiment arrachés, ne tenant plus que par un mince lambeau de peau. Le visage, la gorge et la poitrine du second étaient parsemés de multiples fragments de munitions. Le troisième avait une large blessure au flanc et une petite contusion à la tête, juste au-dessus de l’œil droit.
Un paysan du village de Darusalaam a déclaré à Amnesty International : « Le jour de l’attaque, le bruit de l’avion était plus fort. Les semaines précédentes, on le voyait aller et venir, mais cette nuit-là il ne partait pas. Il venait, revenait et revenait encore. Lorsqu’on a entendu le bruit [de la frappe aérienne], tout s’est arrêté… J’étais tétanisé. Je ne pouvais pas du tout surveiller la ferme. Je me suis abrité sous l’arbre et me suis caché… Ces trois jeunes hommes ne s’attendaient pas à être tués par un avion et nous ne nous attendions pas à ce que le monde reste aussi silencieux. »
Comme dans d’autres cas sur lesquels Amnesty International a enquêté, de nombreux habitants ont identifié les victimes comme étant des civils et non des combattants d’Al Shabab.
Des photos des trois paysans morts et de la zone alentour ont permis au Service de vérification numérique d’Amnesty International de localiser précisément le lieu de la frappe.
Elles présentent également d’autres indices importants, tels que des images de terre éventrée et d’un cratère d’un mètre indiquant de puissants explosifs, ainsi que des fragments qui proviennent sans aucun doute d’une GBU-69/B, bombe guidée de petit diamètre. Ce type d’engin ne peut être largué que depuis un AC-130 de l’armée de l’air américaine, un avion de combat le plus souvent utilisé en appui aérien rapproché et non pour des frappes isolées. Alors qu’il n’avait pas été aperçu en Somalie depuis plus de 10 ans, la présence de cet appareil témoigne d’une escalade du conflit. L’AFRICOM n’a pas signalé l’utilisation d’AC-130, mais a confirmé avoir procédé à une frappe aérienne dans la région du Bas-Shabelle le 12 novembre 2017 vers trois heures du matin, affirmant avoir tué « plusieurs » miliciens.
Dans un autre cas, cinq civils, dont deux enfants, ont été tués par un camion soupçonné d’appartenir à Al Shabab, qui a explosé alors qu’il traversait le hameau d’Illimey le 6 décembre 2017. Sur les images satellite on peut voir qu’une dizaine de bâtiments ont été partiellement détruits dans l’explosion et les incendies qui ont suivi.
Un ami de l’une des victimes a entendu l’explosion depuis Farsoley, un village situé à 14 kilomètres : « C’était énorme… En cinq minutes, j’ai vu un immense nuage de fumée noire s’élever. Nous nous sommes tous dits que quelque chose de terrible était arrivé. Je me suis précipité sur les lieux… [Le camion] était complètement détruit. Tout le village avait brûlé, tous les arbres alentour étaient calcinés. Il restait un grand trou à l’endroit de l’explosion. »
Si l’AFRICOM nie catégoriquement avoir lancé l’attaque contre le hameau d’Illimey, des preuves convaincantes indiquent qu’une frappe aérienne a bien eu lieu et qu’un service de sécurité américain pourrait en être responsable.
D’après les médias et de multiples témoins, l’explosion s’est produite lorsqu’une bombe a été tirée sur le véhicule depuis les airs. Des témoins se souviennent avoir vu ou entendu un appareil avant ou après l’attaque. Amnesty International a examiné des images satellite qui confirment l’hypothèse d’une frappe aérienne ayant déclenché l’explosion.
Un bilan sans doute plus lourd
On sait que les forces américaines ont procédé à 76 autres frappes aériennes en Somalie pendant la période étudiée par Amnesty International et à 24 frappes au cours des deux premiers mois de l’année 2019 : le bilan des victimes civiles pourrait donc être bien plus lourd.
Pour les Somaliens touchés par des frappes aériennes américaines, il n’existe guère, voire aucune, chance d’obtenir justice. Il leur est quasiment impossible de signaler que des membres de leur famille ou de leur village ont été tués ou blessés, étant donné le lieu de ces attaques et les risques qu’ils courraient en termes de sécurité.
« Le gouvernement des États-Unis doit veiller à ce que des investigations soient menées sur toutes les allégations crédibles faisant état de victimes civiles, à ce que les responsables présumés de violations des droits humains aient à rendre des comptes et à ce que les victimes et leurs familles obtiennent des réparations, a déclaré Ella Knight, chercheuse sur les questions liées à l’armée, à la sécurité et à la police à Amnesty International.
« Les gouvernements américain et somalien doivent en finir avec l’absence de transparence et se mobiliser davantage pour permettre aux habitants concernés de signaler eux-mêmes des victimes civiles. Sans cela, la justice risque fort de demeurer une illusion. »
Publié le 21.03.2019
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]