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Face à la vague de violences, notamment de viols et d’homicides systématiques de civils, que la République centrafricaine connaît actuellement, il faut que les Nations unies renforcent la protection de la population, a déclaré Amnesty International.
En août dernier, l’organisation a mené une enquête de terrain qui lui a permis de révéler une flambée terrifiante des actes de torture, des pillages et des déplacements forcés imputables à une ramification de la Seleka, l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC).
« La population de la Basse-Kotto est laissée à la merci de l’UPC. Des femmes sont violées, des hommes sont tués, des villages sont détruits et la force de maintien de la paix des Nations unies s’avère incapable d’enrayer ces violences, a déclaré Joanne Mariner, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International.
« Les civils ne sont pas des victimes accidentelles de ce conflit mais des cibles directes. Pour que le mandat des Nations unies en République centrafricaine ait un sens, il faut qu’ils soient mieux protégés. »
À l’occasion d’une visite de deux semaines sur place, des délégués d’Amnesty International se sont entretenus avec 30 personnes ayant fui face aux violentes attaques contre les civils qui se déroulent depuis quelques mois dans la préfecture de Basse-Kotto, notamment le massacre perpétré le 8 mai dans la ville d’Alindao, qui aurait fait au moins 130 morts.
Ces rescapés ont donné les noms de 47 personnes tuées par l’UPC et des informations permettant de les identifier. On ignore le nombre exact de victimes mais, en se fondant sur des sources crédibles, on l’estime à plusieurs centaines.
Attaques interconfessionnelles contre des civils
Comme à la fin de 2013 et au début de 2014, lorsque des centaines de milliers de musulmans avaient été expulsés violemment de l’ouest du pays, le conflit armé non international prend une tournure confessionnelle de plus en plus visible.
L’UPC, composée essentiellement de musulmans, s’en prend à des chrétiens dans des villes et des villages car elle considère qu’ils soutiennent les groupes armés refusant sa domination. À l’inverse, les anti-balaka et les autres groupes armés d’« autodéfense » à majorité chrétienne attaquent sans relâche des civils musulmans.
Un dignitaire religieux d’Alindao, l’un des villes de la région les plus touchées par le conflit, a expliqué à Amnesty International :
« C’est devenu un affrontement entre musulmans et chrétiens… On ne veut pas de guerre de religion, on la refuse totalement, mais il y a manifestement un conflit intercommunautaire. »
Les violences sont terribles. Annie (36 ans) explique que des combattants de l’UPC les ont capturés, son mari et elle, le 10 mai à Alindao. Son mari a tenté de s’échapper mais ils lui ont tiré dans les jambes.
« On va vous faire quelque chose à vous, les chrétiens, dont vous allez vous souvenir pendant des générations, dit-elle en reprenant les propos que ces hommes ont tenus, avant que l’un d’eux la viole et qu’un autre viole son mari. « Après avoir violé mon mari, il lui a tiré dans la tête », a ajouté Annie. Ces viols et cet homicide ont été commis sous les yeux de ses cinq enfants.
Sur les 25 femmes de la région avec lesquelles les délégués d’Amnesty International se sont entretenus, 20 avaient été violées et presque toutes avaient assisté au meurtre des hommes de leur famille.
Une veuve de 28 ans sanglotait en racontant comment elle avait perdu son mari, son père et son fils de cinq ans.
Son mari a été tué le 8 mai à Alindao et, le lendemain, les autres membres de la famille ont été repérés par l’UPC alors qu’ils se cachaient dans une case en brousse. Les combattants de l’UPC ont tué son père, ont violé en réunion sa mère de 62 ans et elle-même, et ont frappé la tête de son fils contre le sol de la case ; celui-ci n’a pas survécu.
« Après que trois d’entre eux m’ont violée, j’ai perdu connaissance. Quand je suis revenue à moi, j’étais attachée à un arbre, a-t-elle expliqué. Ma mère m’a détachée et nous nous sommes enfuies. J’étais en pleine crise de nerf. »
« L’UPC utilise le viol comme une arme de guerre et comme un moyen d’humilier et d’avilir avec violence ses victimes, ce de manière apparemment systématique, a déclaré Balkissa Ide Siddo, spécialiste de l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Cependant, la tournure confessionnelle que ces attaques sont en train de prendre est peut-être l’aspect le plus inquiétant de la crise actuelle. »
L’Observatoire centrafricain des droits de l’homme (OCDH) a dénombré plus de 100 victimes de violences sexuelles qui ont fui la région pour se réfugier à Bangui, la capitale, au cours des derniers mois, et ce chiffre est certainement très en deçà de la réalité. La plupart des victimes, sinon toutes, ont été violées en réunion.
Des casques bleus incapables de protéger les civils
Les casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA) n’ont pas empêché les violences contre des civils. Comptant un effectif de 12 870 personnes en uniforme, dont 10 750 militaires, la MINUSCA est déployée de manière sporadique dans de nombreuses zones.
Selon des témoins, les casques bleus sont arrivés à Alindao un jour au moins après le début des violences et ils n’étaient pas assez nombreux pour y mettre fin. Plutôt que d’organiser des patrouilles régulières à titre préventif, ils se sont concentrés sur la protection de l’hôpital et du camp pour personnes déplacées géré par l’église catholique.
« Nous craignons qu’en cas d’attaque [dans un camp pour personnes déplacées à Alindao] la MINUSCA ne se replie sur sa base, auquel cas il y aura un massacre », a déclaré un dirigeant local.
Amnesty International appelle à revoir les capacités de la MINUSCA, notamment en ce qui concerne la formation, l’équipement, la coordination et les effectifs en uniforme et en civil, de sorte qu’elle puisse remplir son mandat.
« Bien que les soldats de la MINUSCA aient sauvé de nombreuses vies en République centrafricaine, leurs échecs risquent de ruiner la confiance de la population à l’égard de la mission de maintien de la paix et de mettre des milliers de personnes en danger, a déclaré Joanne Mariner.
« De nombreux Centrafricains sont de plus en plus sceptiques quant à la volonté et à la capacité de la MINUSCA de restaurer l’ordre, ainsi qu’à son aptitude à assurer un mandat de protection des civils, même limité. »
Les crimes de droit international perpétrés contre des civils en République centrafricaine relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), du tribunal pénal spécial (juridiction hybride récemment créée) et du système judiciaire national. Toutefois, ces trois institutions présentent des points faibles.
L’enquête de la CPI, qui a débuté en septembre 2014, ne concernera vraisemblablement qu’une poignée de suspects. Le tribunal pénal spécial n’est pas encore opérationnel, bien qu’il soit désormais doté d’un procureur et de ressources financières. Le système judiciaire national, déjà fragile, a été affaibli encore davantage par le conflit et nécessite une reconstruction presque totale.
« Il y a peu d’espoir de rompre la spirale de la violence en République centrafricaine en l’absence d’un système de redevabilité efficace, qui permette de traduire en justice les responsables présumés de ces crimes odieux, a déclaré Balkissa Ide Siddo.
« Il faut que le tribunal pénal spécial obtienne le financement indispensable pour fonctionner dès que possible. »
Plus d’un million de personnes déplacées par le conflit
Plus de 100 000 personnes ont été déplacées par le conflit depuis avril. Actuellement, on compte au moins 600 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays et 438 700 réfugiés dans les pays voisins, principalement au Cameroun, en République démocratique du Congo (RDC) et au Tchad.
Des dizaines de milliers de personnes ont fui les villes les plus touchées par les combats, comme Alindao, Mingala, Nzangba et Mobaye (à la frontière avec la RDC), ainsi que d’innombrables villages de la région, et se sont réfugiées à Bambari, à Bangui ou en RDC. D’autres personnes déplacées survivent en brousse dans des conditions déplorables, notamment sur les petites îles de la rivière Oubangui, à la frontière avec la RDC.
Plusieurs villes et villages de la préfecture de Basse-Kotto seraient pratiquement vidés de leurs habitants, le peu qu’il reste de la population civile ayant trouvé refuge dans l’enceinte de différentes églises, qui sont ainsi devenues des camps pour personnes déplacées.
Selon l’OCDH, les violences se poursuivent dans la région, les derniers affrontements signalés ayant eu lieu le 23 août dans la ville de Kongbo, et les personnes déplacées continuent d’affluer à Bangui.
La préfecture de Basse-Kotto est l’une des régions où le conflit a explosé en 2017, lorsque la situation du pays en matière de sécurité s’est aggravée. À l’heure actuelle, le gouvernement démocratiquement élu n’a que peu ou pas de pouvoir hors de la capitale et le reste du pays est de fait sous le contrôle de divers groupes armés.
Le bilan humain
L’UPC a lancé une série de violentes attaques en mai : le 8 à Alindao, le 17 à Nzangba et le 25 à Mobaye.
Le bain de sang qui a eu lieu à Alindao a été précipité par une attaque extrêmement matinale des forces anti-balaka dans le quartier de Paris-Congo (sud-est de la ville). Après les avoir mises en déroute, l’UPC s’est déchaînée contre la population chrétienne.
Judith (29 ans), du quartier de Paris-Congo, s’est retrouvée séparée de son mari lorsqu’elle a fui avec ses enfants, après que des coups de feu ont retenti près de chez eux. En brousse, elle est tombée sur des combattants de l’UPC ; les hommes qui se trouvaient avec elle ont été abattus et les femmes, violées.
« Ils nous ont ordonné de nous allonger par terre… Nous étions plusieurs femmes… Comme je ne me suis pas couchée assez vite, un combattant m’a jetée au sol et a déchiré ma culotte pour avoir un rapport sexuel avec moi devant tout le monde… Après le viol, il m’a donné deux coups de pied… D’autres combattants étaient en train de violer d’autres femmes. Mes quatre enfants étaient là et ils pleuraient. »
Marie (33 ans) a été capturée avec son mari le 10 mai dans les champs entourant Alindao. Elle a indiqué que les combattants de l’UPC avaient abattu son mari parce qu’il avait refusé de donner son bétail, avant de la violer en réunion devant ses enfants.
Florida (27 ans) s’est enfuie dans la brousse avec sa famille le 8 mai ; ils sont rentrés deux semaines plus tard parce que les conditions étaient trop difficiles. La nuit de leur retour, des combattants de l’UPC ont enfoncé la porte et fait irruption dans la maison.
« Ils ont attaché [mon mari] à un arbre devant la maison. Ils m’ont bandé les yeux et m’ont déshabillée… Ils ont dit que mon mari allait bien voir comment sa femme serait traitée. Deux m’ont violée sous ses yeux. Les enfants pleuraient. Après ça, ils ont tiré dans la gorge de mon mari. »
Guilaine (30 ans) vivait avec son père de 60 ans et ses deux enfants dans le centre d’Alindao. Trois combattants de l’UPC sont arrivés dans leur quartier et ont attaché son père à un arbre. Le voyant sans défense, elle s’est mise à pleurer. Alors les combattants lui ont dit qu’ils allaient lui montrer ce dont ils étaient capables et ont tranché la gorge de son père.
« Les trois soldats m’ont violée sous les yeux de mes enfants, puis ils m’ont frappée dans le dos avec la crosse d’un fusil. Je me suis enfuie avec mes enfants mais je pouvais à peine marcher. »
On ne connaît pas le nombre exact de personnes tuées pendant l’attaque d’Alindao mais la Croix-Rouge centrafricaine a signalé avoir ramassé plus de 130 corps après six jours de violences. Outre les homicides et les viols, l’UPC a organisé des pillages à grande échelle de logements civils.
Alindao est désormais une ville fantôme aux rues désertes. Quelques musulmans sont restés et continuent de faire fonctionner un petit marché, mais la majorité des chrétiens sont partis. Environ 20 000 chrétiens on trouvé refuge dans des camps de fortune pour personnes déplacées à l’église catholique et dans d’autres églises.
Thérèse (43 ans) a été témoin de l’assassinat de son mari et de son fils lorsque l’UPC a attaqué la ville de Nzangba le 17 mai.
« Trois membres de la Seleka sont entrés dans notre résidence… Ils portaient des uniformes militaires. Par des gestes, ils ont indiqué à mon mari qu’il devait s’allonger par terre. Il a refusé. Un Peul a immédiatement tiré sur lui. Il s’est écroulé. Mon fils aîné s’est effondré en larmes sur le corps de mon mari. Un autre [combattant] l’a abattu. Il est mort aussi… Les trois m’ont ensuite violée… devant mes enfants. »
Princia (20 ans), qui vivait chez ses parents, s’est enfuie dans la brousse lorsque des combattants de l’UPC sont arrivés et est rentrée quand sa famille a cru que les hommes armés avaient quitté les lieux.
« Ils ont enfoncé la porte. Ils ont tué mon père et nous ont violées, mes sœurs et moi. Ils nous ont attachées avec des cordes. Je me suis évanouie pendant le viol. Quand ils sont partis, nous nous sommes enfuies dans la brousse. »
Publié le 10.09.2017
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